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Les critiques de Bifrost

Gideon la Neuvième

Tamsyn MUIR
ACTES SUD
528pp - 24,00 €

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

Récompensé en 2020 par le prix Locus du meilleur premier roman, le volume initial de ce qui devrait être à terme une tétralogie nous arrive précédé d’une petite réputation parmi les lecteurs anglophones.

Efficace, Tamsyn Muir installe d’emblée, et en quelques pages, un univers de belle consistance, aussi travaillé que mystérieux. N’en révélant pour le moment que peu les contours, l’intrigue plonge le lecteur dans l’action et se concentre sur ce qui va occuper les deux personnages principaux de cette histoire. Le point de vue privilégié est celui de Gideon Nav, irrévérencieuse jeune femme acceptant, pour prix de sa liberté, d’accompagner l’ambitieuse Harrowhark Nonagesimus au cours d’une épreuve dont la réussite la con­sacrerait Lycteure de l’Empereur. Convergent ainsi, vers la planète où siège la Première Maison, un duo nécromancien-cavalier re­présentant chacun une des huit autres Maisons, tous en quête de ce prestigieux titre.

Huis-clos aux atours de whodunit, étonnant mélange entre science-fiction et dark fantasy, le roman invoque certains codes que l’on pourrait aisément attribuer au young adult, utilisant des tropes que certains trouveront peut-être trop prévisibles : tandis que le tandem Gideon-Harrow s’installe sans surprise dans le schéma relationnel enemies to lovers, certains personnages campent solidement leurs archétypes. Mais force est de constater que l’autrice ne verse jamais dans l’excès, et que le soin porté à la cohérence d’ensemble compense sans difficulté ces aspects. Avec une mention spéciale au déroulé de la trame, dont le rythme évolue continuellement pour ne jamais laisser au lecteur, sans cesse entrainé vers la suite, le temps de s’installer dans un confort routinier. L’autrice pioche dans un large éventail d’éléments variés, apportant à son récit une richesse et un relief des plus agréable : de l’humour mordant au drame, des moments d’émotion aux visions d’horreur pure, la qualité de l’écriture ne se relâche ni dans la narration, ni dans les dialogues. On déplorera éventuellement, par moments, un em­ballement quelque peu brouillon dans les scènes d’action, sans toutefois pouvoir éclipser un goût certain pour la mise en scène et le plaisir que Tamsyn Muir semble y prendre. Du reste, on appréciera que le traitement des personnages, notamment féminins, sorte de sentiers trop souvent battus, proposant autre chose que des portraits propres et lisses. Par la grâce d’une écriture organi­que, sans fard et sans pudeur, elle malmène tous ses protagonistes sans la moindre retenue dans un registre toujours maitrisé et sans jamais sombrer dans le sordide.

Un premier roman plein de promesses, en somme, dont Sté­phanie Lux a su restituer, par sa traduction, l’atmosphère singulière autant que la richesse. Nul doute que cette entrée dans l’univers du « Tombeau Scellé », par lequel Tamsyn Muir fait montre de qualités indiscutables, séduira de nombreux lecteurs francophones.

Camille VINAU

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