Alfie Flowers, photographe de seconde zone, ne sera jamais grand reporter comme son célèbre géniteur, blessé au Cambodge puis mort au Liban, Reflex au poing. Sans doute est-il plus falot. Mais surtout, depuis une étrange expérience dans le bureau de son grand-père, qui venait juste de mourir, il souffre d'une forme atypique d'épilepsie. Que s'est-il passé dans ce bureau ? Il semblerait qu'il y ait vu un dessin auquel il n'aurait jamais dû être exposé — la reproduction d'un glyphe découvert en Irak — et son cerveau a fait un terrible court-jus qui l'handicape encore des années plus tard.
Alors qu'il se promène dans Londres, Alfie repère un nouveau glyphe, fait une crise d'épilepsie et se lance à la poursuite de l'auteur du dessin, un jeune graffiteur surdoué qui se fait appeler Morph et dont la famille serait originaire du Kurdistan irakien. Le problème, c'est que beaucoup de gens veulent retrouver Morph, notamment Harriet Crowley, liée au Nomad's club, sans oublier une bande de savants fous et de mercenaires ultra violents qui ont trempé dans une terrible tragédie à Lagos : le projet MindEye. Et qui ne sont pas à un ou dix meurtres près.
C'est en Irak, évidemment, au cœur du territoire kurde, que tout ce petit monde finira par régler ses comptes.
Paul J. McAuley est l'auteur de nombreuses nouvelles épatantes et d'une bonne quinzaine de romans. Citons Les Conjurés de Florence, excellent ; Féerie, brouillon pour certains, brûlot biopunk pyrotechnique pour d'autres ; Sable rouge, peu ou prou les sept mercenaires sur Mars, pas mal ; et enfin Les Diables blancs, un must. Glyphes, son dernier roman traduit, et dont le fond est passionnant de bout en bout, souffre à mon humble avis d'une forme bâtarde, d'un déséquilibre patent : la première partie, londonienne (pp 11 à 288) est longuette, bavarde, pleine de redondances et de scènes d'exposition mollassonnes ; la seconde partie, turco-irakienne (pp 289 à 458) n'est pas assez développée alors qu'elle contient tout ce qu'on veut savoir, tout ce qu'on voulait voir, toute la tension nécessaire. Au-delà de cette réserve, nous avons là un bon thriller qui mêle espionnage à la John Le Carré (on n'est jamais très loin de La Constance du jardinier), archéologie (le Robert Holdstock des Mythagos se rappelle souvent à notre bon souvenir) et sciences de la vie (médecine, biologie, biochimie). Glyphes est aussi le livre d'un auteur engagé (à gauche toute !), qui affronte le « bourbier » irakien sans condescendance ni pathos mal placé, et qui se permet une fin apaisée qui contraste complètement avec l'épilepsie dont souffre le personnage principal, haut-mal moderne qui symbolise sans doute les dommages collatéraux d'un monde d'information continue où plus personne ne peut synthétiser le flot de nouvelles qui le bombarde matin, midi et soir.
On conclura cette critique avec quelques mots choisis au sujet de l'épatante couverture de Jackie Paternoster, qui arrive à engendrer les effets secondaires des glyphes tels qu'ils sont décrits dans le livre : dix secondes d'exposition provoquent une certaine nausée et, passée la minute, c'est le mal de crâne assuré. Je me suis laissé dire qu'une exposition prolongée (deux ou trois jours, les paupières agrafées au front) pouvait transformer n'importe quel être de bon goût en low man (sorte de zombie obéissant, dont il est beaucoup question dans Glyphes) ; alors, surtout, ne tentez pas l'expérience chez vous, la vie est trop courte et ce nouveau roman de McAuley est certes trop long, mais pas à ce point.