Brian STABLEFORD
CRITIC
610pp - 25,00 €
Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98
Visant le public des amateurs de space opera, « Grainger des étoiles - l’intégrale » rassemble en deux énormes pavés six romans de Brian Stableford parus entre 1972 et 1975 : Le Courant d’Alcyon, Rhapsodie Noire et Terre promise pour le tome 1 ; Le Jeu du Paradis, Le Fenris et Le Chant du cygne pour le tome 2.
Premier avertissement : à moins d’être un très grand fan de pulps et de SF à l’ancienne, évitez de lire les six romans d’un coup : c’est le meilleur moyen de vous dégoûter de l’ensemble. En effet, Critic a rassemblé les traductions originales (qui datent en France des années 80) sans remaniement véritable, avec le charme de l’époque… mais aussi ses défauts. Mieux vaut prendre le temps de piocher, donc, en alternant avec des textes plus modernes, vous feinterez la lassitude et préserverez votre optimisme face à la dose assez massive de misanthropie du héros titre.
Les six romans mettent en scène le même personnage principal, Grainger, un bourlingueur de l’espace désabusé et pragmatique, qui, afin de rembourser une dette, se met au service d’un universitaire et pilote son vaisseau expérimental. Hormis le premier roman, Le Courant d’Alcyon, toutes les aventures ou presque ont une trame identique : l’un des projets de l’universitaire a mis l’équipe dans le pétrin depuis un coin perdu de l’univers, et c’est à Grainger et au « vent » (cf. ci-dessous) d’utiliser leur bagout et leur connaissance pour sortir tout le monde de ce mauvais pas. Sur le fond, avec « Grainger des étoiles », Brian Stableford fait un double pari osé dans le monde du space opera. En effet, son personnage principal est à la fois asocial et pacifiste. Il n’a aucun atome crochu avec le reste de la race humaine, expliquant à de nombreuses reprises mieux s’entendre avec les extraterrestres qu’avec sa propre espèce. Et il exècre la violence, non par conviction, mais plutôt par lâcheté, paresse ou nonchalance. À quelques très rares exceptions, il n’est pas armé et évite soigneusement de porter des coups. Dans le premier récit, il hérite d’un passager clandestin : le « vent ». Ce parasite extraterrestre partage l’esprit des êtres sentients et peut, à moins que le propriétaire d’origine ne s’y oppose consciemment, prendre possession de certaines fonctions corporelles (les réflexes, les capacités motrices ou linguistiques…). Nettement plus vieux que Grainger, il est pourtant moins désabusé, et son optimisme va souvent sortir notre héros de son inertie. Si les thématiques abordées sont intéressantes (les différents mécanismes d’évolution et leur conséquence sur le comportement d’une espèce, la capitalisation à outrance ou le fanatisme religieux), la forme reste assez roborative – pour ne pas dire indigeste dans le cas de Rhapsodie noire, où l’on se fiche totalement du sort des différents personnages. Enfin, les longs monologues de Grainger, s’ils permettent sans doute à l’auteur de faire passer ses idées, ont l’inconvénient de transformer des pages entières de romans en cours de morale ou d’économie planétaire, dont on se passerait bien…