Eliza GRANVILLE
MIROBOLE EDITIONS
448pp - 22,00 €
Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79
Parmi les atrocités du XXe siècle, le génocide juif apparaît comme l’abomination suprême. D’aucuns y voient l’incarnation du Mal absolu, d’autres la manifestation de sa banalité. À l’instar de Jane Yolen, Eliza Granville opte pour le conte, cette forme de récit hybride, pour évoquer l’univers concentrationnaire via le regard d’un enfant.
Adonc, il était une fois une petite fille appelée Krysta. Après la mort de sa maman, elle accompagna son père dans une nouvelle maison située près d’un zoo où étaient enfermés des animaux humains. Selon son papa, il s’agissait d’un lieu spécial où des gens importants voulaient rendre le monde meilleur, ce qui expliquait qu’il ne pouvait refuser d’y travailler. Tous les soirs, lorsqu’il rentrait, il se lavait longuement les mains, frottant inlassablement ses doigts et ses paumes jusqu’à s’en faire rougir la peau. Ensuite, il s’enquérait de la journée de sa fille. Krysta était une enfant vive mais insupportable, ne souhaitant qu’une chose : accompagner son père au zoo pour y voir les animaux, et peut-être s’y faire des amis parmi les enfants aperçus derrière la clôture.
L’histoire de Krysta aurait sans doute intéressé Josef Breuer s’il n’avait vécu beaucoup plus tôt, au XIXe siècle. Le célèbre médecin viennois y aurait sans doute trouvé matière à réflexion pour élucider le mystère posé par cette jeune fille découverte nue, amaigrie, le crâne rasé, avec un numéro tatoué au poignet, dépourvue d’émotions et ne faisant que répéter la même phrase : « Je suis revenue dans le passé pour tuer le Monstre. » Selon ses dires, il s’apprêterait à plonger l’Europe dans le chaos. Quand ? Plus tard. En tout cas, pas tout de suite, même s’il faut agir tant qu’il demeure vulnérable. Si les propos de sa patiente lui paraissent complètement insensés, le psychiatre se fait fort de la guérir en retrouvant les racines de son traumatisme, manière pour lui de conjurer également un échec personnel.
Reconnaissons que Gretel and the Dark ne manque pas d’ambition. D’emblée, on est happé par l’écriture imagée d’Eliza Granvilleet sa transposition habile de l’univers des frères Grimm. L’auteure brouille ainsi les repères en inversant les perspectives, le récit supposé correspondre à la réalité s’avérant l’histoire dans l’histoire. Par le truchement de la symboliques des contes, elle opère une sorte de thérapie par la catharsis, revenant aux racines de l’antisémitisme et des crimes nazis. On devine en effet assez rapidement que le récit fantasmatique et cruel de Krysta masque une réalité encore plus effroyable. Celle bien documentée de la déportation et de l’univers concentrationnaire. Le zoo, ses pensionnaires et le dispensaire où travaille son père apparaissent comme des images enfantines permettant de décrire de manière décalée un camp, ses déportés et le centre d’expérimentation où ils sont torturés. L’existence toute entière de Krysta baigne ainsi dans l’atmosphère des contes et de leurs archétypes, se superposant au monde pour en filtrer la crudité et ainsi atténuer la violence réelle.
Hélas, on ne sait que penser de la seconde trame, celle se déroulant à Vienne, dont les épisodes se succèdent, mettant en scène un crescendo dramatique qui ne débouche au final sur rien de probant, si ce n’est un dénouement un tantinet bâclé. Le constat agace car en brisant la continuité qui unissait les deux trames, Eliza Granville se comporte à la manière d’un enfant découpant les pages de son livre d’histoires.
Bref, en dépit de l’habileté du dispositif, on reste donc sur sa faim, abandonnant Gretel and the Dark avec un sentiment de déception. L’impression d’avoir lu un livre au potentiel gâché par un dénouement raté et un propos inabouti. Dommage.