1923. La grande guerre dure depuis presque dix ans. Jean Valmont, jeune étudiant en lettres, s’apprête à vivre pour la première fois l’épreuve du feu sur le front des Balkans. Une tuerie inutile de plus dont il ressort miraculeusement indemne dans son bel uniforme bleu horizon, nimbé d’une lueur surnaturelle. À peine remis de sa stupeur, on l’affecte à une escouade spéciale composée de talents exceptionnels et commandée par un grand escogriffe au verbe haut en couleur. En leur compagnie, il ne tarde pas à se frotter au Meister des Schreckens et à ses serviteurs, Sigurd le guerrier à l’épée, l’Ange bleu, le Tambour et Tilmann Krupp, le mauvais génie de l’illustre famille de marchands d’armes. Sous la houlette du Grand-Duc/Grand Charles, Jean Valmont désormais surnommé Trompe-la-Mort et ses acolytes, le Brigadier de Fer, Mademoiselle Spectrale et l’esprit du Léviathan, formidable véhicule blindé doté d’un cerveau humain, fourbissent leurs armes, prêts à mourir pour la patrie comme il se doit, mais non sans panache.
La Première Guerre mondiale est l’un des sujets de prédilection de l’uchronie, même si elle ne sert ici que de point de départ et de prétexte à un récit tenant plus du roman feuilleton et de l’aventure, celle d’un groupe de soldats dont la surnature résulte d’une émotion intense et irrésistible, cette peur viscérale si chère à Gabriel Chevallier. Dans le décor d’une Europe ravagée par les combats et défigurée par les cicatrices des tranchées, sous les averses d’acier d’un ciel dominé par les zeppelins impériaux surplombant des portions entières de territoires abandonnées au joug d’un smog toxique permanent, Guerre & Peur acquitte honorablement son tribut au récit de guerre, mêlant les personnages historiques à ceux empruntés à la fiction allemande des années 1920-1930, mais aussi à la geste superhéroïque née outre-Atlantique et au merveilleux scientifique du vieux continent. D’aucuns convoqueront les souvenirs de leurs lectures précédentes, Brigade chimérique et autres Sentinelles (pour citer deux BD), pointant ressemblances et divergences avec gourmandise ou lassitude. Les autres s’amuseront des clins d’œil à l’Histoire ou à la littérature pour le meilleur d’une intertextualité dont Johan Heliot nourrit son imaginaire dans un souci d’aventure, de défoulement anti-militariste et de dépaysement ludique.
Guerre & Peur ne dément pas un seul instant cette intention, montrant toutes les qualités d’un page turner rusé, rythmé et dépourvu de toute velléité de prise de tête, avec un entrain que n’auraient pas désavoué les feuilletonistes. Cela tombe bien, puisque le dénouement laisse présager une (des) suites. Avis aux amateurs.