Philippe MONOT
NESTIVEQNEN
464pp - 23,70 €
Critique parue en octobre 2004 dans Bifrost n° 36
L'univers de la Terre de Lup convulse. Les frontières entre le monde des hommes et la « Vraie Terre » des fées sont en train de s'effondrer. Le temps des grands conflits est revenu. Le culte Husan continue à se répandre depuis les Terres Libres et menace la suprématie de l'Eglise adjitienne. Quant à la magie, que les prêtres ont voulu remplacer par la foi, elle semble ressurgir de toutes parts. Les choix stratégiques que feront les Milles Seigneuries ou l'Empire Notte seront déterminants pour l'avenir. Mais le pontife Wotilius sait qu'il va lui falloir composer avec l'ennemi et fait appel à celui dont il a toujours nié l'existence. Sans compter que les périls sont aussi internes, car nul ne sait qui contrôle véritablement l'Abbaye Noire, bras armé de l'Adjita. Les héritières des familles Aklérus et Drimus deviennent le centre de toutes les attentions, car elles seules possèdent les clefs de la mythique Citadelle de Ladah, dont la découverte permettra l'aboutissement de la Grande Œuvre. Ou son échec irrévocable…
Dans toute trilogie de fantasy vient le moment délicat du deuxième tome, par principe moins surprenant que le premier et pas aussi abouti que le troisième. Du moins, en théorie… En 2002, je faisais dans ces pages la critique de Sardequins (Livre 1). J'y fustigeais, en substance, les libertés prises par l'auteur avec la langue et quelques techniques narratives de base, mais j'y louais ses indéniables qualités de conteur et de créateur de mondes. La lecture de Guerre et Fées permet de mesurer la pérennité et la prescription de ces propos. Après deux années de travail, Philippe Monot prouve que notre attente n'a pas été vaine. Car Guerre et Fées est un ouvrage jubilatoire. Certes, les imperfections restent, les digressions règnent et les notes de bas de page pullulent. Mais Monot cultive désormais sa différence avec lucidité et transforme ses faiblesses en fondations. Guerre et Fées est un livre d'une densité, d'une pertinence, d'une énergie remarquables… le tout servi par un humour redoutable. Le monde créé par Monot « explose » à chaque page et se recompose, dans l'esprit du lecteur, en une mosaïque d'émotions, de sourires, de rires parfois, qui fait oublier tout le reste. Le fait est assez rare pour être souligné. Mais Guerre et Fées se mérite. Il faut patienter un peu, soulever le voile de la fantasy « classique » et survivre à la masse quasi-critique d'informations. La structure générale du roman refuse toute forme de linéarité et, d'un chapitre à l'autre, d'un personnage à l'autre, d'un enjeu à l'autre, tout change. Les liens apparaissent petit à petit, créant la plus savoureuse des surprises. Plus que tout, c'est ici la voix d'un auteur à part entière qui s'élève et, vocalises faites, s'impose, sans lourdeur ni prétention. Enfant naturel de Jack Vance et collatéral au second degré de « Donjon Monster », Philippe Monot, avec un style inimitable, feu d'artifice d'inventivité, est capable d'emporter le plus vigilant des critiques, le plus indolent des lecteurs, vers des sommets de pur bonheur de lecture. Autant dire qu'on espère que le bouquet final sera inoubliable. Il pourrait l'être…