Le phénomène s’accentue depuis un certain temps, quelques-uns des romans de science-fiction les plus excitants nous proviennent pour bonne part de petites structures indépendantes. Dans le cas qui nous intéresse ici, ce sont les Forges de Vulcain, dont le catalogue contient déjà quelques livres à la lisière des mauvais genres qui nous intéressent – des classiques comme la proto-fantasy « Le Puits au bout du monde » de William Morris ou la dystopie Un regard en arrière d’Edward Bellamy, et des textes contemporains, dans le cas présent. Premier (et pour l’instant unique) roman de Charles Yu, auteur américain d’origine taïwanaise, dont il s’agit aussi de la première traduction dans nos contrées, le Guide de survie pour le voyageur du temps amateur nous raconte les déboires d’un certain… Charles Yu. Voyons de plus près ce qu’il en est.
« Quand ça arrive, voilà ce qui arrive : je me tire dessus. »
Charles Yu vit dans l’Univers Mineur 31, monde de poche ressemblant passablement au nôtre à cette nuance que les règles de narration coexistent avec les lois de la physique. Technicien de machines temporelles, Yu a pour job de s’occuper de la maintenance de ces appareils qui fonctionnent selon le principe de la chronodiégèse. Il voyage à travers le temps en compagnie d’un chien ontologiquement inexistant et d’une IA quelque peu dépressive ; dans l’UM 31, Yu possède un supérieur hiérarchique qui oublie qu’il est un logiciel, une mère enfermée dans une boucle temporelle longue d’une heure, et la femme avec qui il ne se mariera pas (et qui donc ne l’attend pas). Tout se passe à peu près bien dans la vie terne de Yu, jusqu’au moment où son double du futur lui tire dessus. Blessé, il n’a d’autre choix que de se réfugier dans sa machine temporelle et essayer de tirer les choses au clair s’il veut survivre. Ce qui implique de replonger dans ses souvenirs d’enfance, en particulier ceux liés à son père, qui a presque inventé une machine temporelle et donc l’échec l’a poussé à fuir.
Ce Guide de survie… n’est pas tant un guide à proprement parler, en dépit des nombreux inserts explicatifs sur la nature de l’UM 31, qu’une aventure temporelle centrée sur une relation père-fils. Encore que ceux qui s’attendent à un roman de hard science fondé sur les paradoxes en seront pour leurs frais : Charles Yu s’empare des tropes de la SF pour les remixer à sa manière – d’une façon peut-être un peu trop désincarnée, le roman échouant à susciter l’émotion dans les moments qu’on attend touchants. Dommage aussi que notre auteur ne cherche pas à consolider son monde science-fictionnel : beaucoup d’éléments amusants ne sont là que pour le plaisir d’un bon mot. Si on retrouve un peu de l’inventivité littéraro-grammaticale de Jasper Fforde (côté « Thursday Next ») dans ce texte malin et geek, la folie douce est moins présente.
Faute d’ancrage avec les personnages ou l’univers, notre Guide… reste malheureusement un brin superficiel. Le plaisir de lecture demeure, toutefois, avec un texte assez peu commun pour qu’il reste en mémoire.