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Les critiques de Bifrost

Guinevère, la dame blanche

Jean-Louis FETJAINE
FLEUVE NOIR
360pp - 19,90 €

Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74

En 1998 paraissait Le Crépuscule des elfes, premier volume d’une trilogie héroïque et âpre, puisant son inspiration dans le légendaire brittonique. Avec ce roman, Jean-Louis Fetjaine réussissait un coup de maître : revisiter de très anciens motifs en leur insufflant une noirceur et une modernité assez enthousiasmante. Quelques années plus tard, le cycle s’achève avec Guinevere, et même si entre-temps trois livres moins convaincants sont venus s’ajouter à la trilogie initiale, formant une manière de chronique, l’auteur semble renouer ici avec le meilleur de son écriture.

Adonc, Uther est mort. L’union des peuples de la féerie et des hommes a vécu. Les nains ont disparu, engloutis dans les ruines de leurs cités. Les elfes ont opté quant à eux pour le passage dans l’autre monde, rejoignant les îles enchantées. Et, si les hordes de Celui-qui-ne-peut-être-nommé ont été vaincues, le monde de concorde voulu par Merlin, l’enfant du diable, ne peut plus être restauré.

Sur le champ de bataille, seuls demeurent les hommes. Installés sur des arpents de terre arrachés à la forêt d’Eliande, ils prolifèrent comme un chiendent, encadrés par des seigneurs jaloux et des prêtres superstitieux. Même Arthur semble fatigué. L’héritier d’Uther, le souverain choisi, est usé par les batailles menées pour s’imposer contre les barons félons, contre sa demi-sœur Mor-gause, épouse du roi d’Orcanie, sans oublier Meleagant. Tous lorgnent la couronne de Logres, attendant un faux-pas du roi, quitte à comploter dans l’ombre sa chute. Aussi ne voient-ils pas d’un bon œil le mariage d’Arthur avec Guinevere. Une union qui pourrait lui assurer la descendance lui faisant défaut jusque-là.

Pour les amateurs de la Matière de Bretagne, le doute n’est pas permis. Guinevere puise sa substance dans le corpus des romans arthuriens, en particulier dans La Mort le roi Artu, dernier épisode de la vulgate, plus connue sous le nom de cycle du « Lancelot-Graal » (on renverra les curieux à l’original, paru en poche dans l’excellente collection « Lettres gothiques »). Jean-Louis Fetjaine en emprunte sans vergogne tous les motifs : l’effondrement du pilier familial, miné par le mensonge, l’inceste et l’adultère, la rupture des liens d’amitié et de fidélité, facilitée grandement par les complots et trahisons. Il en reprend aussi tous les éléments du décorum : motte castrale, idéal chevaleresque, paysannerie soumise, recouvrant la patine de la légende avec une bonne pelletée de sang, d’entrailles et de boue. Il en garde enfin les personnages principaux. Lanc-lot, Arthur, Mordred, Morgause, Merlin, aucun ne manque. L’auteur leur confère juste davantage de substance pour leur permettre d’exister.

Cependant, Jean-Louis Fetjaine ne se contente pas d’écrire une énième variation de l’œuvre médiévale. Il procède à rebours, dépouillant le texte de ses oripeaux chrétiens, plaqués par des clercs empressés à christianiser le récit pour imposer une senefiance plus conforme à la religion dominante. Dans cet univers impitoyable, n’étant pas sans rappeler les intrigues du « Trône de Fer » de George R. R. Martin, l’auteur français confère à Guinevere un rôle décisif, unissant la figure folklorique de la dame blanche à l’univers arthurien, et apporte ainsi un point final des plus dramatique, bien qu’attendu, à sa réinterprétation de la Matière de Bretagne.

Laurent LELEU

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