Jo WALTON
DENOËL
352pp - 21,50 €
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
Deuxième volet de la trilogie du « Subtil Changement » après Le Cercle de Farthing, Hamlet au paradis se situe également dans cette Angleterre uchronique de 1949 qui, huit ans plus tôt, a signé une « paix dans l’honneur » avec le Troisième Reich, et débute deux semaines après les événements de Farthing. Des événements qui ont vu l’assassinat d’un politicien prometteur et l’accès au poste de Premier Ministre de son meilleur ami, Mark Normanby, qui entreprend de mener le Royaume-Uni sur la pente glissante d’un fascisme qui ne dit pas encore son nom. L’inspecteur Carmichael de Scotland Yard, qui a élucidé le meurtre de l’ex-futur PM mais qu’on a incité au silence, est chargé d’une nouvelle enquête : l’explosion d’une bombe dans une maison de la banlieue londonienne a causé deux morts, un inconnu et la comédienne Lauria Gilmore. Attentat ? Pour quel motif et par qui ? Les Juifs ou les communistes ? À moins que ce ne soit une bombe, résidu du Blitz ? Ou simplement un accident ? Lauria Gilmore devait jouer dans une nouvelle adaptation de Hamlet, avec Viola Lark dans le rôle-titre – au théâtre, la mode est désormais à l’inversion du sexe des protagonistes. Viola, jeune femme issue de la noblesse mais qui a rompu toute relation avec ses géniteurs et ne fréquente plus guère ses sœurs – l’une a viré suppôt de Staline, une autre a épousé Himmler –, vit dans la virtualité de son univers théâtral. Elle va pourtant se retrouver plongée dans un complot qui, si jamais il réussissait, changerait sûrement la face du monde. Ou seulement peut-être. Car qu’est-ce qui fait l’histoire ? Est-ce les hommes ? Ou leurs idées ?
Si Hamlet au paradis reproduit le même dispositif narratif que Le Cercle de Farthing (alternance entre le récit de Carmichael et celui du protagoniste féminin, ici Viola ; alternance entre la 3e et la 1re personne), les ressemblances s’arrêtent là. Délaissant le whodunit du premier volet et l’atmosphère tout à fois feutrée et champêtre de Farthing, l’intrigue vire au thriller dans une ville de Londres à l’atmosphère de plus en plus nauséabonde. On n’entend pas encore le bruit des bottes, mais ce n’est pas loin… Le récit gagne en intensité au fil des pages, au rythme de l’implication de Viola dans le complot et de l’avancée de l’enquête de Carmichaël. On espère avec Viola, bien qu’on sache, pourtant, dès les premières lignes du roman, que quelque chose se passera mal – mais quoi ? Sera-t-il possible d’infléchir le cours de cette Histoire parallèle ? Par quoi passe le changement ? En posant des bombes ou bien en s’insérant au cœur du système dans l’espoir de faire bouger les choses de l’intérieur – ou à tout le moins de les rendre moins pire. L’on frémit pour l’inspecteur Carmichael, dont l’intégrité est compromise. Riche reconstitution d’une époque qui fort heureusement n’a jamais été, ce deuxième volet du « Subtil Changement » brosse le portrait d’une société partagée entre révolte, collaboration ou, le plus souvent, apathie – une société pas si éloignée de la nôtre. Intelligente uchronie, on ne saura trop recommander Hamlet au paradis. Et c’est avec la plus grande des impatiences qu’on attend la conclusion de cette trilogie, au demeurant déjà excellente.