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Les critiques de Bifrost

Hank Shapiro au pays de la récup'

Terry BISSON
DENOËL
288pp - 18,00 €

Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31

À première vue, l'idée centrale de Hank Shapiro au pays de la récup' rappelle énormément le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. La société future que Terry Bisson décrit organise la destruction systématique des œuvres de divers artistes, écrivains, peintres ou musiciens. Chaque année, le gouvernement édite une liste de nouveaux noms dont les créations devront être supprimées et envoie ses fonctionnaires faire le ménage chez les particuliers.

Mais tandis que les pompiers pyromanes de Bradbury pratiquaient une censure pure et simple, les récupérateurs de Bisson ont pour mission de permettre aux jeunes artistes de pouvoir créer sans être écrasé par le poids du passé. Une manière de faire du neuf en se débarrassant du vieux.

Tel est le point de départ de ce roman. Mais le propos de Bisson n'est pas ici de décrire une telle société, de s'intéresser à son évolution culturelle. Il choisit plutôt de se pencher sur le destin d'un fonctionnaire du Bureau des Arts & Divertissements : Hank Shapiro. Un personnage terne, employé modèle, vivant seul dans la maison de ses parents, avec pour unique compagnie sa vieille chienne Homer. Un être sans histoires, dont la vie va basculer le jour où il récupèrera un 33 tours d'Hank Williams. Ce n'est pas sa musique qui va le bouleverser — il n'a même pas de tourne-disques — mais la photographie du musicien sur la couverture, qui lui rappelle son père. Et au mépris de son devoir, au risque de mettre sa carrière en péril, Shapiro va décider de conserver ce disque plutôt que de le détruire.

Quelques malheureuses rencontres et quelques morts accidentelles plus tard, va débuter pour lui un voyage improbable à travers les États-Unis, en compagnie de son chien mourant, d'une documentaliste baptisée Henry enceinte depuis bientôt dix ans et du cadavre d'un indien dont les clones apparaîtront tout au long de ce périple.

Il y a un côté absurde — et parfois drôle — dans cette fuite en avant de Shapiro et de ses compagnons d'infortune. Le petit fonctionnaire y apparaît pathétique, s'accrochant à l'espoir de retrouver sa vie d'avant alors qu'il a depuis longtemps franchi le point de non-retour, s'entichant d'une femme qui semble à peine consciente de son existence et prêt à tous les sacrifices pour sauver sa chienne d'une mort qui paraît pourtant inexorable. Malgré tout, ou plutôt grâce à tout cela, Shapiro est un personnage particulièrement émouvant, humain, touchant par sa sincérité. Et au final, à travers ce personnage, Terry Bisson interroge le lecteur sur son rapport à la culture, sur la manière dont certains livres ou disques occupent une place primordiale dans notre existence. À lire absolument.

Philippe BOULIER

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