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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2004 dans Bifrost n° 33

Il agace, il énerve, il séduit, il suscite moult réactions pas toujours flatteuses, mais il poursuit son petit bonhomme de chemin millionnaire en se fichant du reste… S'il est possible (et même assez sain) de critiquer l'effet marketing de Harry Potter (au point que les plus jeunes ignorent même qu'au départ, il y a un livre et non une boîte de céréales), de râler contre les films, les poupées, les porte-clés et autres morceaux de la vraie croix, les bouquins, eux, sont remarquablement inattaquables. Bien fichus, bien racontés, drôles et malins, on ne peut décemment leur reprocher grand-chose, à part une certaine niaiserie (d'ailleurs décroissante) trop souvent présente dans la littérature pour enfants (passez par la case Pullman pour trouver l'exception qui confirme la règle).

Au menu de ce Harry Potter tome 5 longtemps attendu, 1000 pages de lutte contre le bien et le mal, avec une tendance jouissive à l'injustice. Eh oui, les gens sont méchants et, bien souvent, ce sont eux qui gagnent à la fin… Autant pour la niaiserie évoquée plus haut, et tant mieux pour la profondeur (et l'intelligence) du récit.

Le lecteur curieux doit au passage s'attarder sur la « méthode narrative Rowling » : Quand on aborde une série, on peut choisir de décrire des personnages qui ne vieillissent pas (Le club des cinq, par exemple), ou bien opter pour le principe plus délicat (mais sans doute plus adulte) qui consiste à faire évoluer son héros au fil des pages. Ainsi, Rowling traite un livre par année scolaire, avec les changements physiques et psychologiques qui en découlent. Premier de la série, Harry Potter à l'école des sorciers (audacieuse traduction de Harry Potter and the philosopher's stone) raconte la première année au collège de Poudlard d'un certain Harry (11 ans). Il y fait la connaissance d'Hermione, de Ron et d'autres excellents seconds rôles (un point fondamental dans tout roman), dans un cadre amusant et merveilleux. Rowling a eu l'idée géniale de décrire un enseignement magique dans un contexte quasi universitaire cohérent, avec tout un bestiaire emprunté aussi bien aux sagas islandaises qu'à Tolkien, en passant par le célébrissime Beowulf. Rien de bien renversant dans ce premier tome, si ce n'est une mise en place du décor, avec un « 300 pages » millimétré, un début, une fin et une morale. Le pied. Harry est encore un petit garçon, et la simplicité du récit correspond assez bien au profil du héros.

Harry Potter et la chambre des secrets, le tome 2 de la série, reprend le même principe, mais le pimente (et l'augmente) avec un scénario plus tortueux et une psychologie des personnages plus fouillée. Harry est un peu plus vieux, et donc plus à même d'apprendre toutes sortes de choses sur ses parents disparus, tout en se positionnant plus intelligemment dans la vie. Dès lors, la suite est parfaitement logique : les choses vont se compliquer et s'étoffer. Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban est une véritable prouesse scénaristique et le premier « vraiment adulte » de la série. Rowling se lâche niveau pagination et se permet absolument tout ce qu'elle veut (avec un tel compte en banque, qui ne le ferait pas ?) en ajoutant des voyages dans le temps, des coups de théâtre, des méchants qui n'en sont pas, tout en développant le personnage du professeur Rogue (Snape, en anglais), magnifiquement interlope et sans doute l'une des meilleures trouvailles de la série. Encore plus ambitieux, voire démesuré, Harry Potter et la coupe de feu inaugure les futurs pavés de 800 pages qui ne manqueront pas de clore l'ensemble. Harry (alors âgé de 14 ans) y découvre la mort, l'injustice et la folie, tandis que son statut de héros est brusquement remis en cause avec lucidité. C'est un changement majeur, de par la taille du roman d'abord, mais également dans les rapports avec l'autre sexe qu'entretiennent Harry, Ron et Hermione. 14 ans est l'âge de la transformation et Rowling ne se plante pas le moins du monde.

Aujourd'hui âgé de 15 ans, Harry Potter revient avec un cinquième tome dans la lignée du précédent. Gros, épais et terriblement lisible (dur à lâcher, en quelque sorte), Harry Potter et l'ordre du phénix raconte (pour résumer) l'aveuglement du ministère de la magie face au retour de Voldemort (le Sauron local). Harry s'y montre assez désagréable, voire inique, mais c'est un corollaire logique de l'adolescence. Il découvre également l'amertume de l'amour, en accumulant échecs après échecs avec la très jolie Cho (elle l'embrasse, quand même, mais c'est à peu près la seule concession érotique de Rowling). On pourrait s'attendre à quelque chose de plus dur, mais la série des Harry Potter reste tout de même réservée aux enfants, et il est peu probable que l'auteur suive réellement le développement normal d'un gamin de 11 à 18 ans. Tout au plus peut-elle pimenter ses aventures en densifiant la problématique. Le pari est tenu, dans la mesure où ce tome 5 est lu avec autant de plaisir par les adultes que par les enfants.

Au final, toutefois, pas grand-chose de neuf. À la fin du tome 4, Voldemort revient mais le ministère de la magie refuse d'y croire. À la fin du tome 5, Voldemort est de retour et le ministère y croit. Voilà. Simpliste ? Oui et non. D'abord parce que la longueur du pavé ne peut qu'être salutaire aux petits (c'est assez merveilleux de penser que des mômes ne s'effraient aucunement de l'épaisseur de la chose, et en redemandent…), ensuite parce que Rowling prend son temps (trop, sans doute), ce qui lui permet de travailler encore un peu plus ses personnages. Divertissant, intelligent et évidemment pour enfants, Harry Potter tome 5 reste un livre à lire. Quant à la série dans son ensemble, on l'a vu, elle implique une difficulté et une profondeur croissante, singeant l'évolution des enfants qui lisent Harry Potter au fur et à mesure. Reste que ce principe fonctionne pour peu qu'on se limite évidemment à un livre par an.

Patrick IMBERT

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