J. K. ROWLING
GALLIMARD JEUNESSE
746pp - 13,30 €
Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40
[Critique de l'édition originale anglaise]
Sixième et avant-dernier tome d'une saga qu'on ne présente plus, Harry Potter et le prince de sang mêlé est un modèle du genre : prenez une idée originale et séduisante pour un lectorat jeune, déclinez-la en gigantesque machine marketing qui n'a plus rien à voir avec la littérature, et vous obtenez un tome six d'une remarquable inutilité. Vache à lait éditoriale, Harry Potter est prévu en sept tomes. Point. Avant ce dernier volume, il faut meubler. Un travail d'écriture impeccablement réalisé par Rowling (ou par un nègre, ou par une machine, qu'importe), mais qui malheureusement n'apporte rien à la série. Autant dire que la vacuité de ce tome six est confondante. L'idée n'est pas de produire un livre autonome et intéressant, mais bien de préparer les lecteurs au feu d'artifice du tome sept. En conséquence, dire qu'il ne se passe rien est un euphémisme. Page 0 à 100, le professeur Rogue (Snape en anglais) joue-t-il double jeu ? Page 100 à 200, Harry retourne à l'école. Page 200 à 300, rien. Page 300 à 400, rien non plus. Page 400 à 500, Voldemort a séparé son âme en 7 entités indépendantes (d'où sa tendance à revenir à chaque épisode, trouvaille bien pratique s'il en est), entités que Dumbledore et Harry vont tenter de détruire les unes après les autres. Page 500 à 600, les choses commencent à devenir intéressantes et on sait enfin lequel des personnages importants trouve la mort. Page 600, c'est fini.
Même si l'honnêteté intellectuelle oblige de préciser que Harry Potter dans son ensemble est une excellente série pour enfants et adolescents, même si on prend plaisir à la lecture de ce tome six, force est de reconnaître que la tendance à l'obésité des volumes reflète le laisser-aller éditorial quant aux millions que rapporte l'investissement (voir à ce sujet la même remarque concernant Illium et sa suite de Simmons). La qualité se dégrade, et ces quelques 600 pages en sont le témoin le plus flagrant. Une bonne paire de ciseaux, un bon éditeur, et vous voilà avec 100 pages passionnantes. Reste qu'on ne fait pas un Harry Potter avec 100 pages et qu'il faut bien combler les vides. Au final, on obtient un vague roman poussif et inintéressant, là où les derniers volumes (les 4 et 5, notamment) maintenaient l'illusion. Détail intéressant, le rôle du professeur Rogue (seul personnage réellement bien vu) arrive ici à son apogée. Menteur ? Sincère envers et contre tous ? Simplement monstrueux ou monstrueusement droit et vertueux ? Si Rowling se cantonne au premier degré, c'est tout l'édifice qui s'écroule. Si elle joue la carte de l'ambiguïté et de l'intelligence, on lui pardonnera cet écart (coûteux, tout de même). Réponse dans le septième tome, donc. Si ce n'est pas un coup marketing génial.