Ian MCDONALD
GOLLANCZ
Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68
Hearts, Hands and Voices est un roman qui, dès ses premières lignes, vous plonge dans un univers radicalement autre, un futur lointain dans lequel, pour paraphraser Clarke, la technologie est à ce point avancée qu’à nos yeux elle est indiscernable de la magie. Un monde dans lequel tout semble possible, où biologie et technologie s’entremêlent sans cesse pour donner naissance à des visions sidérantes : maisons ou véhicules vivants, arbres recueillant les mânes des anciens, anges et autres créatures plus difficilement identifiables, le roman ne cesse de donner vie à de telles images.
L’histoire quant à elle est beaucoup plus classique : c’est celle de Mathembe et de sa famille. Mathembe est une jeune muette, non pas à cause d’une quelconque déficience physique, mais parce qu’elle a choisi de ne pas parler. Elle a développé d’autres méthodes de communication avec ses proches, en particulier son grand-père, décédé depuis un an mais qui vit toujours au sein de l’Arbre Ancestral de son village, et Hradu, son frère, jeune activiste dont les sympathies pour un groupe de rebelles à l’ordre établi vont bientôt se retourner contre sa famille.
Si la technologie en usage dans cet univers a des siècles d’avance sur la nôtre, le modèle social qu’on y découvre apparaît en revanche totalement archaïque. La religion occupe une place prépondérante dans cette société, et même dans le paisible village où vit la famille de Mathembe, il existe une séparation nette entre Confessors d’un côté et Proclaimers de l’autre, séparation d’autant plus stricte que l’appartenance d’un individu à une confession ou à l’autre induit également ses convictions politiques : les premiers sont nationalistes, les seconds soutiennent les forces impériales. Et rien ni personne ne semble pouvoir ou vouloir remettre en question cet ordre des choses.
Hearts, Hands and Voices raconte la lente prise de conscience de Mathembe des lois qui régissent le monde dans lequel elle vit. Jetée sur les routes avec ses proches à la suite d’une attaque terroriste, ballottée de camp de réfugiés en mégalopole exubérante, son champ de vision va s’élargir au fil de ses rencontres, lui permettant de se défaire progressivement du carcan idéologique qu’elle porte depuis sa naissance. Le portrait que fait Ian McDonald de cette Terre future est celui d’une humanité tétanisée par la révolution technologique qui l’a frappée, incapable d’inventer une nouvelle façon de vivre, et qui s’est recroquevillée derrière une carapace de certitudes et de convictions confortables. Dans ce contexte, Mathembe apparaît comme la porteuse d’un espoir de voir enfin ce vieux monde disparaître au profit d’un nouveau.
D’une richesse inouïe, tant du point de vue de l’écriture que de l’univers qu’il décrit, Hearts, Hands and Voices ne souffre que d’une intrigue qui, à force de digressions et d’apartés, se délite quelque peu dans sa seconde moitié. Cela n’en reste pas moins une expérience étourdissante, l’un des plus beaux et des plus dépaysant voyages que la science-fiction a pu offrir à ses lecteurs.