Héctor Germán Oesterheld. Une légende dans le monde de la BD. Pourtant, paradoxalement, même si Oesterheld est à l’origine d’une œuvre gigantesque, même s’il a travaillé avec le grand Hugo Pratt, son nom demeure inconnu pour une grande part des lecteurs européens. Or, il a écrit, entre autres, une série de SF mémorable, « L’Éternaute ». On y suit la résistance des humains contre l’envahisseur alien dans une Buenos Aires recouverte d’une neige mortelle. Beaucoup y ont vu un symbole de la lutte contre la dictature qui montait alors et allait corseter l’Argentine, le pays du scénariste. D’ailleurs, comme il a fait partie des résistants à ce pouvoir injuste et meurtrier, Héctor Germán Oesterheld sera l’une des nombreuses victimes du gouvernement tyrannique de Videla.
Léo Henry, amoureux de cette région du monde, et de ce pays en particulier, s’empare de cette figure de la littérature sud-américaine et la place au centre d’un récit dont la structure tend vers le labyrinthe borgèsien. Borgès, qui fait d’ailleurs de nombreuses apparitions dans ce texte (dès les premières pages, en fait), lui qui tint un rôle si important dans son pays – important et ambigu face au pouvoir meurtrier. Le roman, après une rapide présentation du cadre, commence comme un journal de voyage : l’auteur se rend en Argentine sur les traces du disparu. Et cela pourrait se transformer en hommage plus ou moins vibrant à la gloire d’un artiste méconnu en France malgré son importance capitale. À ceci près que rapidement, la structure évolue et, comme dans un jeu de miroirs (le titre du chapitre zéro prévient bien le lecteur), le point de vue change, les certitudes s’envolent et se mêlent aux rêves, aux autres réalités. On est tantôt sur les pas de Léo Henry, tantôt dans ceux de Juan Salvo, le héros de « L’Éternaute », tantôt dans ceux de la famille d’Héctor Germán Oesterheld (dont les filles sont entrées en résistance et l’ont payé de leur vie). Léo Henry tisse un récit complexe et néanmoins limpide où l’on suit son voyage fait de rencontres dans le pays. Où l’on en apprend davantage sur le passé terrible de cette Argentine fantasmée, à travers les quelques traces laissées dans les villes, comme d’anciennes salles de torture recyclées et effacées de la mémoire commune. Où l’on vit dans le monde de l’Éternaute, paysage recouvert d’une neige toxique qui se confond avec l’Argentine de la dictature et où survivre est une gageure. Où, enfin, l’on découvre les possibles derniers moments de la vie d’un scénariste de talent confronté à l’horreur.
Comme le dit son auteur lui-même, Héctor est un « bouquin aux lisières, qui questionne la SF et ces récits que l’on se raconte ». Un roman surprenant et évident à la fois, source de découvertes et de questionnements. En attendant La Géante et le Naufrageur, premier volume de la saga « Mille saisons » à paraître au Bélial’ en juin, aucune excuse ne sera acceptée pour ne pas se plonger dans cet hommage réussi, cette œuvre aussi belle que nécessaire.