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Les critiques de Bifrost

Helios

Helios

Louis THIRION
BLACK COAT PRESS
168pp - 16,00 €

Bifrost n° 48

Critique parue en novembre 2007 dans Bifrost n° 48

Louis Thirion est l'un des tout premiers auteurs qu'il m'ait été donné de chroniquer, en 1991, dans Yellow Submarine, lors de la sortie de son dernier roman au Fleuve Noir, Requiem pour une idole de cristal. Ce titre faisait de Louis Thirion l'ultime représentant des auteurs de la période classique de la vénérable collection « Anticipation ». Ce qui ne rajeunit personne… Et puis le silence. Et la mort même d' « Anticipation »… Une page, et non des moindres, de l'histoire de la science-fiction française était irrévocablement tournée. L'on pouvait alors penser l'œuvre de Louis Thirion désormais close et appartenant au passé. Des lecteurs plus objectifs diraient peut-être que cela eut mieux valu… Mais les éditions Rivière Blanche ne s'adressent pas à ceux-là. Elles parlent aux nostalgiques pour qui, envers et contre tout, nonobstant défauts et faiblesses, le « Fleuve », c'est-à-dire « Anticipation », ne saurait se tarir. Parmi ceux-ci, il en est pour qui Louis Thirion est un auteur culte, au même titre que Peter Randa ou Jimmy Guieu le sont pour d'autres. Aussi, quand après quinze ans d'absence, vous découvrez à nouveau le nom de l'auteur qui a bercé votre enfance et dont vous lisiez et relisiez les livres dans la liste des publications récentes, votre cœur manque un battement. Quand Org, votre rédac'chef préféré, vous dit qu'il y a trop longtemps que Passeport pour la cinquième dimension (même éditeur) est paru pour qu'il puisse encore en accepter une chronique, qu'on manque de place dans Bifrost et que, après tout, il y a peut-être plus urgent que d'évoquer Thirion dans nos colonnes, vous le vouez aux gémonies dès le téléphone raccroché. Or, ne voilà-t-il pas que Rivière Blanche me donne une seconde chance de vous parler de Louis Thirion qui fut l'un des meilleurs auteurs — si ce n'est le meilleur auteur — « maison » d' « Anticipation ». Profitons-en donc pour parler du dit bouquin qui, ça m'écorche les doigts de l'écrire, n'est pas l'un de ses plus aboutis. Peu ou prou, le scénario rappelle ceux du récent Passeport pour la cinquième dimension ou d'Accident temporel (Fleuve Noir « Anticipation », janvier 1987). Le temps et la réalité s'y délitent. On retrouve un personnage principal dans un rôle de Candide en proie au temps. Un, voire deux, compagnons d'errance lui sont attribués qui semblent en savoir davantage qu'ils ne veulent bien le dire et dont le rôle est ambigu. Le commandant Lexor se voit ainsi baguenauder à travers le temps et les réalités, sa route ne cessant de croiser celle de Léo, l'envoyé de Véga 36, et celle du Colporteur. Lexor et Léo tirant l'un est l'autre à hue et à dia. Comme naguère Ulysse, Lexor est guidé dans ses tribulations par le souvenir qu'il garde de son amour pour Pénélope qui l'attend sur Mars, dans la réalité qu'il entend bien rejoindre comme étant sa patrie, bien que celle-ci ne soit peut-être plus elle-même au fil des changements de réalité qui ne cessent de s'enchaîner. Ce livre n'est pas dépourvu de toute invention originale. Ainsi évolue-t-on dans le cosmos au moyen de vaisseaux horoscopiques dont le déplacement instantané se fait par glissement progressif de réalité ; une invention due au professeur Apfl Strudel (ça ne s'invente pas !) par la grâce de laquelle Hélios, le chat, a pu voyager jusqu'à la galaxie d'Andromède. Les horoscopes tenant lieu de plan de vol… Et en la compagnie de Lexor, vous passerez de celle de mages chaldéens à celle de robots ayant survécu à l'humanité mais pas le moins du monde convaincus d'avoir été créés par elle. Il se pourrait même que cette idée-là soit blasphématoire… Hélios, comme toute l'œuvre de Louis Thirion, mais surtout sa seconde période — les années 80 — est empreint d'humour et parsemé ici et là de marques à gauche. Une allusion à Nerva, nom récurent propre à l'auteur, déjà croisé dans Ysée-A (Fleuve Noir « Anticipation », 1970, réédité vingt ans plus tard dans la même collection) et Le Secret d'Ipavar (1973, toujours en « Anticipation »), y apparaît comme une signature cryptique. C'est évidemment un vrai bonheur pour les fans. À ceux qui, par contre, voudraient comprendre pourquoi certains élèvent Louis Thirion au rang d'auteur culte, je conseillerai plutôt d'attendre la réédition de Les Whums se vengent (livre de 1969, encore et toujours en « Anticipation ») annoncée pour bientôt chez Eons (pour peu qu'on oublie la couverture hideuse propre à toute production Eons et une fabrication à l'avenant).

Jean-Pierre LION

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