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Les critiques de Bifrost

Hell

Hell

Yasutaka TSUTSUI
WOMBAT
160pp - 17,00 €

Bifrost n° 73

Critique parue en janvier 2014 dans Bifrost n° 73

Né à Osaka en 1934, Yasutaka Tsutsui écrit ses premiers récits sous l’influence d’écrivains tels que Dick ou Ballard, avant de s’affranchir de ses tutelles littéraires et verser dans une métafiction des plus personnelles. Couronné de nombreux prix dans son pays, il demeure en France peu connu du grand public malgré trois romans traduits. Une de ses œuvres bénéficie toutefois d’une renommée mondiale, et ce à travers son adaptation en anime : Paprika, de Satoshi Kon, est en effet inspiré d’un de ses romans.

L’enfer du titre, c’est le lieu dans lequel se retrouvent les protagonistes de ce livre : des morts débarqués dans une ville incertaine et qui, après la traditionnelle scène de déstabilisation initiale (« où suis-je ? »), se remémorent leurs existences passées, mais d’une manière détachée, sans sentiments. Aussi, lorsqu’ils croisent qui le patron l’ayant licencié, qui l’homme avec qui sa femme a couché, discutent-ils de manière posée, étalant leur biographie comme s’il s’agissait de celle d’une autre personne. Ce court roman fait de flashbacks suit plusieurs traces : celles d’un gang de yakuzas, dont les membres arpentent des voies diverses à la faveur d’une rencontre avec un autre clan ; celles d’un couple de sans-abris ; celles d’un infirme qui trouve dans son handicap un surcroît de motivation pour réussir sa carrière professionnelle, au mépris de toute considération pour les autres. Les trajectoires individuelles sont autant de faisceaux, tour à tour parallèles, convergents et divergents, qui tissent peu à peu une toile de dissertation dépassionnée — puisque de sentiments il n’y a point — sur l’existence, sur ce que l’Homme fait de sa vie, bien ou mal, et laisse derrière lui, sur la relation aux autres. Puis, soudain, la frontière entre l’enfer et le monde des vivants se fait poreuse, et tout est à reconsidérer…

Roman sans réel début ni fin véritable, ni même d’intrigue à proprement parler, comme si la forme se devait d’épouser le fond sur ce monde aux contours indéterminés, Hell risque de déstabiliser certains de ses lecteurs. Les autres sauront apprécier cette construction par accumulation d’existences, ce livre déroutant qui nous emmène loin de nos certitudes, dans un questionnement permanent, tour à tour drolatique et lugubre, sur l’essence humaine.

Bruno PARA

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