Fond de tiroir ? Evidemment. « Demeuré inédit jusqu’à ce jour, refusé à l’époque et sans doute retrouvé dans les archives d’un agent littéraire », nous dit le quatrième de couverture ; le préfacier parle, lui, d’un roman perdu. High-Opp et une dizaine d’autres œuvres auraient ainsi pris le moisi durant plus d’un demi-siècle avant de refaire surface. On peut se demander pourquoi. Pourquoi ce roman n’a-t-il pas vu le jour durant les vingt années qui séparent Dune de la mort d’Herbert ? On ne peut que se perdre en conjectures d’autant que nul ne s’étend sur les conditions de cette résurgence inopinée.
A ses débuts, dans les années 50, Herbert ne publia qu’un unique roman (Le Dragon sous la mer), mais n’en continua pas moins d’écrire. High-Opp (Oh, le vilain titre !) date de la fin de ces années-là : après Le Dragon… et avant 1959, où il commença à rassembler du matériel en vue de Dune.
On ne peut que suivre Gérard Klein dans son éclairante postface (qu’on déconseille de lire avant le roman — ce n’est pas pour rien une postface). Klein voit sur High-Opp l’influence de trois écrivains majeurs de l’époque. Au premier chef : A. E. Van Vogt. Quant à la construction du récit, qu’il rapproche de celle du Monde des A. Mais aussi parce qu’il est question d’une « sémantique » qui n’est pas ce que l’on entend généralement par là, mais d’un corpus de techniques de propagande, et qui renverrait à la sémantique générale de Korzybski au cœur du roman de Van Vogt. Surtout, par la personnalité du héros, Daniel Movius, doué d’emblée mais se révélant hyperadapté aux circonstances ; il ne s’agit pas tant de pouvoirs surhumains que d’une capacité extrême d’homme providentiel à même de toujours fournir la réponse optimale à la situation. Autant d’éléments qui font penser à la programmation neurolinguistique (PNL) qui ne sera inventée qu’une vingtaine d’années plus tard par R. Bandler et J. Grinder et dont le fameux « la carte n’est pas le territoire » est la première présupposée. Movius apparaît comme l’archétype de la personne que la PNL se propose de modéliser en vue de la reproduction des compétences. La fin du roman d’Herbert explicite ce concept central de la PNL qui veut qu’un système (un individu, en somme) contienne en lui-même les ressources nécessaires au changement et à l’adaptation optimisée, et qu’il « suffit » de faire sauter les verrous que sont les croyances pour libérer ce potentiel. On voit là combien la PNL peut se rapprocher de la Dianétique. Mais elle n’est qu’un outil auquel Herbert ne voit pas du tout la même fonction.
Autre influence plausible, celle du cycle de « Fondation » d’Isaac Asimov, selon lequel les crises de civilisation sont prévisibles et remédiables. Pour Herbert, ces crises trouvent leurs origines dans la sclérose et le dévoiement des systèmes de pouvoir, surtout bureaucratiques, qui finissent par ne plus avoir d’autres fins que leur propre pérennité. La « fondation » selon Herbert, c’est le Bu-Sab (le bureau des sabotages dans Dosadi). Le concept était alors dans le Zeitgeist. On le retrouve chez Moorcock, notamment dans le cycle de « Jerry Cornelius », héros qui aurait pu être un agent du Bu-Sab, des « facteurs chaos » venant réintroduire de la fantaisie, de l’imprédictibilité dans les systèmes mortifères conduisant à l’accroissement de l’entropie, comme incarné par Miss Brunner ou, ici, Quillian London.
Enfin, Klein voit dans le modèle de société de High-Opp l’influence du Philip K. Dick de Loterie Solaire, où l’on percevait l’influence de Van Vogt sur ce premier roman de Dick qui influença Klein à son tour pour Le Sceptre du Hasard.
High-Opp contient en germe l’essentiel de la thématique qu’Herbert développera dans ses œuvres majeures ultérieures, dont le principal est la lutte contre la tyrannie, tout particulièrement bureaucratique. A l’instar des libertariens, Herbert se méfie des pouvoirs, mais ne suit pas ces derniers dans le primat qu’ils accordent à l’individu. Selon Klein, Herbert, écologiste avant l’heure, prête à l’espèce ses propres finalités, en premier lieu la survie, qui implique la préservation d’un milieu adéquat et une capacité d’adaptation. Herbert apparaît au final comme un darwinien doté d’une vision spéciste de l’évolution le conduisant à préférer des systèmes aristocratiques, plus à même de transmettre les valeurs nécessaires. Plus un individu a de devoir et plus il a de pouvoir pour les assumer. La valeur ne se mesurant plus dès lors à l’aune du pouvoir ou de la possession, mais à celle de son apport global à autrui, en favorisant une société changeante et variée.
High-Opp est peut-être resté au fond d’un tiroir parce que trop en avance sur son temps pour trouver preneur. C’est certes encore une œuvre de jeunesse, mais dont la lecture est aisée et agréable. Pour une surprise, c’est une bonne surprise !