Nul ne peut désormais ignorer le rôle capital joué par Hollywood dans l’effort de guerre et la victoire des Etats-Unis en 1945. Mais qui connaît la contribution de Syms J. Thorley, vedette incontestée du cinéma d’horreur des années 1940, célèbre pour son interprétation de Corpuscula, la créature alchimique, et de Kha-Ton-Ra, la momie vivante ? Personne mieux que l’acteur lui-même n’est en effet en mesure de raconter sa participation à l’opération la plus secrète de la Seconde Guerre mondiale, plus confidentielle même que le projet Manhattan. Une opération dont l’échec a ouvert la voie aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki avec les conséquences que l’on sait…
Bien des années plus tard, en 1984, dans une chambre d’hôtel de Baltimore, Syms n’a toujours pas fait le deuil de cet épisode qui l’a marqué personnellement. Il nourrit un spleen tenace, préméditant son suicide. Invité d’honneur au festival du film fantastique Wonderama, où il vient de recevoir un prix récompensant une carrière, certes en pointillés, mais dont il a pu tirer quelques bénéfices, il confie ses ultimes réflexions aux pages d’un manuscrit appelé à devenir son testament. Que représente cette breloque ridicule face au plus grand désastre de l’humanité, hibakusha y compris ? L’objet lui remet en mémoire le plus grand fiasco de sa carrière, sa participation à la superproduction orchestrée par la Navy. Un exercice de propagande censé contraindre le Japon à capituler et ainsi épargner au monde l’âge du lézard…
Ne tergiversons pas, avec Hiroshima n’aura pas lieu James Morrow nous livre une pochade, une farce énorme et hilarante. L’auteur américain ne fait pas dans la demi-mesure mais bien dans la démesure avec cette histoire loufoque d’acteur de série-B, voire Z, engagé dans une opération secrète de l’armée américaine pour endosser le costume de la version miniaturisée de monstrueux iguanes cracheurs de feu. Abraca-dantesque, on vous dit ! Et pourtant, on se laisse embarquer dans ce récit ayant toutes les apparences du conte philosophique écrit par un émule des Marx Brothers. Le roman fonctionne également comme une madeleine visuelle, dévoilant les coulisses du cinéma fantastique et de science-fiction des années 1930 et 40. Des productions fauchées destinées à un public populaire, voire déviant, où vont pourtant s’illustrer des créateurs talentueux, tel James Whale, Brenda Weisberg ou Willis O’Brien, développeur de l’animation en stop motion et mentor de Ray Harryhausen. Tous trois figurent au casting de cette superproduction textuelle, offrant au néophyte l’opportunité de se plonger dans l’abondante filmographie des kaiju, films de monstres dont les Japonais se montreront si friands dans l’après-guerre, et dans les classiques américains du film d’horreur. Tout un pan de l’industrie cinématographique recelant bien des nanars, mais aussi quelques chefs-d’œuvre.
Au-delà de l’hommage et de la farce, Hiroshima n’aura pas lieu laisse percer le drame personnel d’un homme dévoré par l’impression de ne pas avoir été à la hauteur. Il dénonce de manière subtile les manigances d’un gouvernement américain dont les préoccupations semblent plus politiques que militaires. Sur ce sujet, on renverra les éventuels curieux à l’essai de l’historien américain Howard Zinn (La Bombe - de l’inutilité des bombardements aériens, éditions Lux).
Malheureusement, en dépit de la drôlerie des dialogues et des situations, on ne peut s’empêcher de trouver le roman un tantinet creux. Et même si le dernier tiers remet les enjeux à leur place, tout ceci ne paraît pas suffisamment développé pour convaincre. En somme, on se trouve devant un Morrow amusant mais mineur. Tant pis.