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Les critiques de Bifrost

Histoires cruelles

Histoires cruelles

T.C. BOYLE
GRASSET
192pp - 21,20 €

Bifrost n° 52

Critique parue en octobre 2008 dans Bifrost n° 52

Après la parution récente de Talk, talk, son dernier roman ; l’infatigable T. C. Boyle est déjà de retour dans les librairies. Mais cette fois, c’est avec un recueil de nouvelles : Histoires cruelles. Un recueil qui fait suite à 25 histoires d’amour, 25 histoires de mort, et 25 histoires bizarres. Sauf qu’ici, il n’y a pas vingt-cinq nou-velles, mais seulement quatorze, et pour le même prix. Ceci dit, ne nous énervons pas ! Car à défaut d’avoir la quantité, nous avons la qualité. Histoires cruelles confirme ce qu’on savait déjà : T. C. Boyle est bien meilleur nouvelliste que romancier. La forme courte lui convient parfaitement. Et ce recueil, comme les précédents, contient quelques bijoux bien ciselés dont il serait dommage de se priver.

Dans « Cynologie », une jeune ethnologue, frustrée de ne pas avoir eu la possibilité de mener à bout sa thèse sur les chiens, décide de tenter une expérience radicale : s’intégrer dans une meute de chiens, adopter leur comportement et leur mode de vie. La voilà qui aboie, se déplace à quatre pattes, tout en essayant de développer son odorat en réactivant ses capteurs olfactifs. Tout se complique le jour où elle pénètre par effraction dans le jardin du dénommé Julian Fox… Dans « L’Assassin bienveillant », un animateur de radio essaye de battre le record mondial d’insomnie en restant éveillé pendant douze jours. Mais très vite les effets du manque de sommeil apparaissent : trous de mémoires et hallucinations en tous genres. Pourtant, malgré l’avis des médecins, l’animateur s’entête : il est prêt à tout pour battre ce record, accéder ainsi à la célébrité, et donner enfin un sens à sa vie… L’argument de « Toutes griffes dehors » est encore plus bizarre : à la suite d’un pari dans un bar, James Turner Jr se retrouve en possession d’un Serval, un félin particulièrement dangereux. Ne sachant pas trop quoi en faire, il installe l’animal dans son appartement. Daria, une jeune serveuse qui a assisté au pari et s’est pris d’affection pour le Serval, s’installe à son tour chez James, qui tombe aussitôt amoureux d’elle. Mais entre la serveuse et le Serval, le plus cruel des deux n’est pas forcément celui qu’on croit. Et James Turner Jr n’est pas au bout de ses peines…

Il est d’ailleurs beaucoup question d’animaux dans ce recueil. Des éléphants ivres morts (« Chasse à l’éléphant »), un chat qui atterrit sur la tête d’une passante (« Balayée par le vent »), ou des caïmans cachés dans le décor apparemment idyllique et paradisiaque d’un gigantesque parc aménagé (« Jubilation »). Et on voit bien où T. C. Boyle veut en venir : les animaux sont des éléments perturbateurs, car ils sont bruts, sauvages, indisciplinés. Ils ne s’embarrassent ni de politesse ni de conventions sociales. Chez eux, l’instinct de survie est intact. Alors que les personnages que Boyle met en scène sont souvent des victimes idéales et consentantes. Boyle prend d’ailleurs un malin plaisir à les manipuler comme des marionnettes, à les torturer en les plaçant dans des situations difficiles, extrêmes, ingérables. En les confrontant aux éléments déchaînés ou à des animaux hostiles. Et ces Histoires cruelles sont souvent très drôles, à condition d’aimer l’humour féroce. Seule exception notable, la nouvelle intitulée « Chicxulub ». Là, le ton est plus grave, plus dur. Dans ce texte, Boyle met en parallèle deux événements distincts : un faits divers tristement banal (des parents confrontés à la mort accidentelle de leur fille) ; et Chicxulub (un astéroïde qui s’est écrasé sur la terre il y a 65 millions d’années, entraînant la disparition des dinosaures). C’est le choc de la grande et de la petite histoire. Le procédé n’est pas nouveau chez l’auteur, qui a toujours aimé entremêler destins individuels et événements historiques. Pourquoi la jeune fille est-elle morte ? Et pourquoi les dinosaures ont-ils disparu ? La faute au hasard, forcément cruel ? Mais le hasard peut aussi engendrer de bien curieuses situations, comme le démontre la fin de cette nouvelle… C’est du très grand T. C. Boyle. Et pour tout dire, ce texte — sobre et magnifique — justifie à lui seul l’achat de l’ouvrage… même si on passera rapidement sur quelques nouvelles beaucoup plus faiblardes, voire parfois soporifiques : « Quand je me suis réveillé ce matin-là, j’avais tout perdu » ; « L’Ile Rastrow » ; « Au pied du mur ».

En conclusion, voilà un excellent recueil. Du style, des récits inventifs, de l’humour acerbe, le sens du petit détail qui tue, et un goût très prononcé pour la satire sociale qui gratte là où ça fait mal : tout ce qu’on aime chez T. C. Boyle.

Xavier BRUCE

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