Robert SILVERBERG, Ursula K. LE GUIN, Joe HALDEMAN, Orson Scott CARD, David BRIN, Jean-Pierre ROBLAIN, Dan SIMMONS, Nancy KRESS, Frederik POHL, Gregory BENFORD, Anne MCCAFFREY, Greg BEAR
J'AI LU
644pp - 19,67 €
Critique parue en octobre 2000 dans Bifrost n° 20
Robert Silverberg avait déjà réalisé une anthologie de fantasy (Légendes, éd. 84) basée sur le même principe : prolonger, pour un nouveau tour de piste, les cycles célèbres de la science-fiction, en partant du postulat que leurs univers sont suffisamment riches pour justifier de nouveaux prolongements. Silverberg ne parle pas ici des concepts de séries qui se répètent inlassablement mais évoque, dans sa préface, les sagas évolutives qui approfondissent idées et univers au fil des volumes.
Curieusement, sa propre nouvelle, appartenant à la série Roma Aeterna, uchronie où l'empire romain a survécu, contredit ses ambitions ; l'intérêt des univers parallèles est en grande partie motivé par les divergences provoquées par la modification d'un événement. Celles-ci admises, raconter un énième récit situé plusieurs siècles après le point de divergence n'ajoute ni ne retranche rien à la série, le référent étant situé trop loin dans le temps. Cette réserve n'ôte rien au mérite du récit, dont le propos est ailleurs, et qui reste agréable à lire.
Il en va de même avec Orson Scott Card qui envoie Ender, alors que celui-ci cherche une planète pour les Doryphores, sur un monde où il a maille à partir avec un inspecteur des impôts véreux et où il fait la connaissance de Jane, le « compagnon » logé dans son ordinateur : ce prudent épisode d'une malversation déjouée serait sans rapport avec la saga si le riche voyageur des étoiles n'avait été Ender.
Il n'y a en fait qu'un seul texte vraiment médiocre dans cette anthologie, c'est celui d'Anne McCaffrey. Séquelle du Vaisseau qui chantait, la nouvelle n'est qu'un épisode supplémentaire des aventures d'Helva, le vaisseau-femme, centré autour d'une idée maintes fois ressassée : la planète capable de se défendre seule contre l'envahisseur.
Mais comment ajouter une pierre à l'édifice sans dérouter le lecteur qui ignorerait tout du bâtiment lui-même ? Le plus souvent, celle-ci n'est pas d'une incidence qui nécessite la connaissance de la série au complet. Dans le cas de Frederick Pohl, par exemple, qui reprend son concept de la Grande Porte, les éléments de base, à savoir la capacité de voyager pour des destinations inconnues mais peut-être fabuleuses dans des vaisseaux abandonnés par les énigmatiques Heechees, suffit pour raconter un épisode très réussi. L'exercice est moins évident dans le cas de « Tentation », du cycle Élévation de David Brin, malgré la présentation que chaque auteur fait de sa série, en introduction à la nouvelle : lorsque le décor est aussi riche que foisonnant, il est difficile de livrer en quelques lignes les informations qui furent développées sur plusieurs milliers de pages. Le texte de Gregory Benford approfondit la réflexion sur la spécificité humaine, un des thèmes développés dans sa série des Organiques contre les Machines (on retrouve d'ailleurs Nigel Walmsley combattant la Mante), mais, bien que non dénué d'intérêt, il restera probablement hermétique à ceux qui ne connaissent rien du cycle du Centre galactique, en raison justement des détails non explicités qui se réfèrent directement à la trame de base.
La plupart des auteurs retiennent donc un aspect peu abordé de leur univers : Ursula Le Guin, dont le cycle des Ekumen est suffisamment lâche pour proposer des romans lisibles séparément, raconte fort intelligemment une guerre qu'on suit uniquement par le biais de ceux qui ne la pratiquent pas ; se référant à Endymion plus qu'à Hypérion, Dan Simmons choisit de raconter avec brio comment les Enéens, à bord de leur vaisseau spatial, sauvent une civilisation régulièrement agressée par un engin aussi gigantesque que ravageur ; Greg Bear envoie à nouveau Olmy sur la Voie présentée dans Éon, Éternité et Héritage, pour empêcher que l'univers ne soit phagocyté par un autre où c'est l'ordre, grand dévoreur d'énergie, et non l'anarchie qui a pris le pouvoir : les implications philosophiques qu'en tire Bear sont à la hauteur de ce cycle ambitieux.
« Une Guerre à part » est la seule nouvelle qui se réfère à un roman isolé, La Guerre éternelle en l'occurrence, mais qui ne le restera pas, la proposition de Silverberg ayant donné à Joe Haldeman l'idée d'une suite. Le texte lui-même ne manque pas d'intérêt, ne serait-ce que par le point de vue décalé qu'adopté l'auteur en plaçant ses héros dans une société où l'homosexualité est la norme et l'hétérosexualité la perversion.
Tous ces romans appartiennent au space opera, comme si seul ce genre était susceptible d'offrir de grandes sagas. Nancy Kress apporte un flagrant démenti avec une nouvelle appartenant au cycle des Insomniaques, une trilogie scandaleusement inédite en France quand on sait que la nouvelle qui lui donna naissance, L'une rêve et l'autre pas, a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire. « Méfiez-vous du chien qui dort » s'attaque à la modification génétique des animaux : priver les chiens de sommeil n'a pas sur eux le même effet que sur les humains.
Avec près de 650 pages bien serrées, ces dix nouvelles qui prennent le temps de développer leur sujet (entre 50 et 70 pages en moyenne) donnent le sentiment de lire plusieurs courts romans à la suite. La reprise des cycles célèbres n'est pas étrangère au plaisir global qu'on retire de cette anthologie, tant ceux-ci rappellent de riches et passionnants moments de lecture. Avec Horizons lointains, Silverberg nous offre un beau bouquet final de la SF du XXe siècle.