Qui, errant sans but dans les rangées d’un magasin Ikea, n’a jamais ressenti un sentiment de vacuité proche de l’horreur ? Pour Amy, l’horreur consiste à pointer tous les matins à l’Orsk de Cleveland, Ohio. Orsk, c’est un magasin de mobilier scandinave, copie carbone et concurrent direct d’Ikea. Et il y a quelque chose de pourri à l’Orsk de Cleveland : à chaque ouverture, on trouve des meubles souillés et des graffitis énigmatiques. Du vandalisme ? Des clients mécontents ? Pourtant, les caméras de surveillance n’enregistrent rien de particulier. Afin d’en avoir le cœur net, Basil, le gérant dévoué de la succursale, débauche Amy ainsi que Ruth Ann, l’employée modèle : le trio va passer une nuit dans le magasin. Bientôt, les voilà épaulés par deux autres employés, qui veulent tenter leur chance dans le domaine du reportage paranormal. Le fait que le magasin soit bâti sur les ruines d’une ancienne prison, un panoptique administré d’une main de fer par un gardien fou au XIXe siècle, aurait-il un lien avec les récentes déprédations ?
Sur la forme, Horrorstör est un sans-faute. La couverture et ses rabats pastichent joliment les codes d’un catalogue Ikea, avec une myriade de détournements qui se nichent dans les détails. Chaque chapitre du roman est introduit par la description d’un objet – du meuble au plus petit accessoire. Plus le récit avance, plus les objets en question deviennent menaçants, anachroniques, avec une ergonomie… particulière. Qu’on en juge : « Un pas lent et assuré ainsi qu’une posture bien droite sont fortement recommandés quand vous portez le masque à pointes de fer. “Jodlöpp” donnera à votre tête le poids nécessaire pour qu’elle reste courbée en signe de soumission permanente. Il est également muni d’une clochette qui ne manquera pas de prévenir votre entourage de votre présence. » Et l’aliénation ressentie par Amy dans Orsk est-elle plus horrible que celle des prisonniers du panoptique ? Sur le fond, Horrorstör nous offre des pistes de réflexions sur le travail – mot qui, comme on le sait, provient étymologiquement de tripalium, instrument de torture – sous la forme d’un roman d’horreur assez banal. Le lecteur ou spectateur de films d’épouvante se retrouvera en un terrain un peu trop balisé – à l’image d’un Ikea que l’on parcourt trop fréquemment. En effet, côté frisson, il faudra repasser, c’est à craindre : le trouillomètre reste assez plat, la faute à des personnages anodins et une intrigue sans surprise. L’intérêt réside davantage dans la description peu glamour du quotidien dans un Ikea — pardon, de ce genre de point de vente. Et dans le feuilletage du livre, décidément un bel objet. Espérons que Grady Hendrix alliera mieux fond et forme la prochaine fois.