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Les critiques de Bifrost

Hors sol

Hors sol

Pierre ALFERI
P.O.L.
21,00 €

Bifrost n° 94

Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94

Le réchauffement climatique a gagné. Et il n’y est pas allé par quatre chemins. La Terre est dévastée par des températures extrêmes. Ses habitants, peu à peu, sont morts : chaleur excessive (augmentée par l’usage intensif des climatisations), maladies dévastatrices, conflits inévitables. Avant l’extinction définitive de l’Humanité, les Jeux Intercellules sont lancés. Des candidats (peu, très peu) sont choisis, sur des critères forcément discutables. Le vaisseau décolle : c’est le Ravissement. Mais le rêve s’arrête rapidement. Le vaisseau, faute de carburant, s’immobilise avant de quitter notre orbite. Certains survivants, regroupés par affinités, sont alors disséminés, via des nacelles suspendues, dans l’atmosphère terrestre, constituant un vaste cercle. Ainsi vivront-il là, dans l’attente d’un hypothétique nouveau départ vers les étoiles. Sans imaginer pouvoir un jour retourner sur cette Terre, devenue par trop inhospitalière.

Ces informations nous sont parvenues en 2018 grâce à un phénomène plus ou moins expliqué. Un hasard étrange et peu vraisemblable a permis d’accéder à un vaste dossier informatique. À l’intérieur, un instantané d’un certain jour de janvier 2103 : des dizaines de textes divers et variés offrant une vue parcellaire de cet avenir aérien dépressif. On découvre des extraits de journal intime, des échanges de messages, des poèmes, des publicités, des articles de journaux. Bref, un vaste panorama d’une journée dans les airs. D’une journée dans cette société figée.

Pierre Alferi voulait, dans ce roman, éviter le déroulement linéaire des récits : voir les mêmes personnages évoluer d’une action à une autre, d’un début à une fin. Son désir était de proposer une vision globale d’un instant T : comme une série de nouvelles se déroulant au même moment, avec des protagonistes différents, seulement liés par leur société, leur cadre de vie. Cela donne un objet protéiforme, intéressant mais déstabilisant, hypnotisant mais parfois lassant. La mosaïque est néanmoins assez variée pour captiver le lecteur. On passe en effet d’un poème contemplatif à un échange à propos des différents types de pornos à la mode, de la révélation d’un vieux secret de famille à la conversation d’un père et de sa fille, version texto. En plus, malgré la volonté de ne pas offrir d’action dans le sens traditionnel du terme, l’auteur révèle tout de même progressivement, au fil des chapitres, des morceaux d’image de cet étrange reliquat d’humanité et du monde où il vit. On comprend mieux, au fur et à mesure des pages, comment ils en sont arrivés là. Pourquoi certains choix ont été faits. Pourquoi nos descendants vivent ainsi réunis en petits groupes liés par une même passion, au moins au début, dans des boites métalliques suspendues dans les airs, rongés par une attente poisseuse et déprimante.

Reste que la structure de Hors sol s’avère un peu trop lâche pour tenir le lecteur en haleine tout au long de ses 364 pages. Le manque de but nuit à l’empathie, à l’envie d’en découvrir davantage. Pas impossible, néanmoins, de se laisse hypnotiser par le rythme lent et contemplatif de ces vies, par le travail sur la langue, les nombreux jeux sur les sonorités (Pierre Alferi semble d’ailleurs parfois préférer une belle allitération à la clarté d’une phrase, une paronomase osée à la facilité de la lecture). On voyage non sans délice dans cet avenir brinquebalant, inquiétant, fascinant. Une expérience, sans doute. À tenter, pourquoi pas.

Raphaël GAUDIN

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