Olivier BÉRENVAL
MNÉMOS
496pp - 22,00 €
Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80
Futur proche. La Terre est agitée de soubresauts économiques (crises financières à répétition) et politiques (les guerres ne font qu’empirer) de plus en plus violents. En 2018, une expérience de collision de particules au CERN cause la mort de milliers de personnes. Neuf années plus tard, dans ce monde en plein désarroi, une singularité apparaît au cœur de notre système solaire ; une expédition est dépêchée afin de déterminer de quoi il retourne…
Ceux qui pestent à longueur d’année sur le fait que les francophones ne sont pas capables de s’attaquer frontalement à la hard SF en seront pour leur frais : Olivier Bérenval s’est en effet frotté au genre sans la moindre hésitation, et ce dès son premier roman. Ainsi les exposés scientifiques s’enchaînent-ils, et sur un nombre de sujets impressionnants : physique quantique, astrophysique, mathématiques pures… S’il fait la part belle à la théorie fondamentale, l’auteur aborde aussi les aspects pratiques, et la technologie capable de répondre aux besoins, de telle sorte que le roman échappe au cours magistral. Même si, à vouloir embrasser trop de sujets, il se perd — et nous perd, surtout — un peu, et le lecteur a le sentiment d’assister à un étalage de connaissances davantage qu’à une extrapolation scientifique maîtrisée de bout en bout. Ajoutons à cela que Bérenval a choisi d’ancrer son histoire dans un futur très proche, ce qui n’est pas sans poser problème sur les avancées scientifiques évoquées — certaines semblent un peu trop rapides. Mais il n’en reste pas moins que, dans l’ensemble, le substrat scientifique qui constitue le livre est assez approfondi pour s’avérer satisfaisant.
Afin d’éviter au mieux l’aridité, Bérenval a travaillé spécifiquement deux aspects : la structure et les personnages. L’histoire nous est ainsi proposée sous forme de morceaux temporels présentés de manière non séquentielle, et en multipliant les points de vue. Le premier des corolaires du procédé, pour ambitieux qu’il soit, est une impression de foutraque lors des chapitres initiaux avant qu’on comprenne que, d’une manière ou d’une autre, l’ensemble est lié comme il se doit. Le second, plus positif, est un indéniable dynamisme de l’ensemble, un suspense certain et quelques coups de théâtre intéressants.
Bérenval a aussi approfondi la psychologie de ses personnages. Du fait de leur nombre, quelques-uns n’en restent pas moins très archétypaux (on notera d’ailleurs une curieuse propension des personnages masculins à raisonner en termes d’attirance mutuelle lors d’une rencontre avec une personne du sexe opposé), mais d’autres ont la faveur de l’auteur, qui tente de nous faire comprendre leurs motivations, leurs faiblesses, leurs espoirs. Pour un livre de hard SF, sous-genre qui sacrifie volontiers la psychologie sur l’autel de la science, l’intention est louable, et le résultat somme toute à la hauteur — même si on regrettera les atermoiements de Sanjay quant aux infidélités faites à sa femme.
Bref, Ianos, singularité nue se révèle un premier roman imparfait sans que cela lui soit véritablement préjudiciable, sans doute parce que ses défauts sont liés pour l’essentiel à sa très (trop) grande ambition, une ambition qu’Olivier Bérenval échoue à satisfaire pleinement. Restent une intéressante tentative de faire de la vraie SF bourrée d’idées, et une belle promesse sur ce que sera capable d’écrire l’auteur avec un peu plus de métier derrière lui.