Cipango, nouvelle Atlantic City artificielle en plein Pacifique, constitue l'héritage laissé par Fausto Luciano III, pape de la Mano, descendant putatif de Lucky mais peut-être moins chanceux car ses accointances avec la Synarchie ressemblent fort à un marché de dupes, ainsi que le voudrait son prénom. Héritage que vont se disputer Icks LaMotta — suivez mon regard — et Lotta Meinhof, créature qui a plus à voir avec un hybride de Pablo Escobar et de Marilyn Monroe qu'avec une certaine Ulricke du même nom. Ces deux ont chacun leur champion : Erica Janssen, pouliche Scandinave masochiste pour LaMotta, et Mat Katkov, tocard fini, pour Meinhof. Meinhof et LaMotta n'étant eux-mêmes que des pions dans la partie opposant les Hommes aux Intelligences Artificielles. Sur Waller Martin, maître flic, et sa secrétaire Natassia Gorki ( !), le président Wun et le directeur du CIRCO Asmessian, ex-gladiateur, et son adjointe, Tania Orloff — mais oui, vous l'avez reconnue, la nièce de l'Ombre Jaune chère à Bob Morane herself — repose la survie de l'humanité. Décidément, Christian Vilà semble ici beaucoup s'amuser avec les noms de ses personnages…
En ce XXIe siècle, l'essentiel de l'humanité est oisive et il faut lui fournir du pain et des jeux. Les IA et la Synarchie ne voient là que des bouches inutiles, comme le Capital avant elles. Christian Vilà met ici en scène les craintes que Viviane Forester a pu exprimer dans son livre, L'horreur économique, quant à l'existence d'une population dénuée de rôle social.
Tout au long du roman, on voit Icks LaMotta et ses séides, Horesco Referens ( !) et Luigi Moltobello, assurer la victoire de la Synarchie à grands coups d'assassinats. Toutefois celui de Roxane, la soeur de Katkov qui lui prête ses pouvoirs psi, échoue car son esprit se trouve sur l'Infini Boulevard Virtuel où elle écrasera l'Identité synthétique commune aux informatés, des gens dont les IA ont reconfiguré le psychisme à leurs fins. Les méchants seront mis à mal, la Synarchie déboulonnée et le VIB ouvert à l'humanité.
L'action est menée tambours battants ; le gros de l'histoire exhibant les « méchants » occupés à sabrer les appuis du tandem Katkov/Meinhof, un retournement de situation fort attendu intervenant à la fin, comme il se doit. La construction est un peu bancale ; notamment, on aimerait mieux comprendre l'interaction entre le VIB et la réalité.
D'autre part, des personnages tels que Tania Orloff ou Appolinaire Johnson disparaissent soudain sans avoir vraiment joué le rôle que le lecteur pouvait attendre d'eux. Ce roman, que l'on rapprochera du Jeu du monde de Michel Jeury dont il est une variante cyberpunk, n'est pas exempt de défauts. Mais pour peu que l'on joue le jeu — ce qui, vu le thème, est la moindre des choses — et que l'on se laisse porter par l'histoire, il se révélera un bon petit bouquin d'action nourri d'une problématique intéressante, sinon originale.