Lucie CHENU, Jean-Pierre ANDREVON, Jess KAAN, René BEAULIEU, Pierre Alexandre SICART, Jérôme NOIREZ, Jean-Michel CALVEZ, Jean MILLEMANN, Claude MAMIER, Claude ECKEN, Alain LE BUSSY, Michèle SÉBAL, Antoine LENCOU, Sylvie MILLER, Philippe WARD,
GLYPHE
464pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2010 dans Bifrost n° 57
Dans le droit fil des précédents numéros de Bifrost, où il était question de « retour en grâce de la nouvelle », coup de projo sur une des dernières publications des éditions Glyphe : l'anthologie Identités, florilège de textes courts réunis par Lucie Chenu, figure bien connue du petit landerneau de la S-F et de la fantasy hexagonale.
Au sommaire vingt-six auteurs, dont quelques plumes très confirmées (Card, Ecken, Le Bussy, Mamier, Noirez). Les nouvelles balaient tout le spectre de la fiction, faisant fi des frontières entre mainstream, fantastique, S-F, conte de fée, fantasy ou même polar hardboiled. Il est vrai que le thème, l'identité, se prête à tous les genres et à toutes les formes. L'éclectisme qui en découle n'en reste pas moins guidé par un principe directeur : mettre l'individu, ses vies rêvées et ses brisures, au cœur du récit. Sans surprise, l'ouvrage balance du côté d'un certain désenchantement cynique et de la noirceur la plus crue, que la présence de nouvelles plus faibles stylistiquement, ou inachevées, ou ennuyeuses, vient malencontreusement tempérer. C'est d'ailleurs le principal reproche qu'on peut faire à l'anthologiste (qui n'en est pas à son premier fait d'armes (voir notamment, chez le même éditeur, (Pro)Créations), de n'avoir pas su — ou pas voulu — resserrer davantage sa sélection, disons autour d'une grosse quinzaine de textes. En l'état, un bon tiers des contributions me paraît largement dispensable, aussi vite lu qu'oublié (voile pudique jeté sur le nom des coupables). On s'enfile le second tiers avec des sentiments mitigés : vague curiosité pour Jess Kaan (« La Fourmilière, mon pied et le Tupic »), Jean-Michel Calvez (« La Bonne aventure ») et Sophie Dabat (« Démence, jouissance, délivrance », délirante autofiction) ; intérêt mâtiné de déception pour les Claude, Mamier et Ecken, tous les deux en petite forme ; politesse attentionnée pour Orson Scott Card (« Le Réceptacle ») ; politesse amusée pour Michèle Sébal (« Constance Lolita », grinçante comédie familiale à base de télékinésie) et pour le couple Ward/Miller, qui s'en donne à cœur joie dans « La Belle au poids mordant » (le titre est explicite), dommage que la nouvelle soit écrite à quatre pieds.
Reste une poignée de bons textes qui, sans verser dans le chef-d'œuvre, feront passer au lecteur d'excellents moments. Le postulat de Li-Cam dans « La Frontière de Tamika » — un virus biotechnologique a transformé les trois-quarts de l'humanité en dangereux psychopathes — n'est pas sans rappeler celui de l'excellente trilogie du chromozone de Beauverger, même si l'auteure exploite le filon de manière un peu foutraque. Lionel Davoust m'a impressionné avec son « Bataille pour un souvenir », histoire d'une caste de guerriers qui ne peuvent se sublimer dans l'action qu'en acceptant de renoncer à leurs souvenirs, au risque d'y laisser la conscience de soi. Nouvelle maîtrisée de bout en bout, qui n'aurait pas déparée dans Rois et Capitaines (antho où la contribution dudit Davoust s'était révélée beaucoup moins probante). Denis Labbé (inquiétant et malsain « Plastic Doll », à la chute plus dure qu'un uppercut), Ludovic Lavaissière (« Kainsmal », romance gothique dans l'Europe du XIXe siècle sur fond de lutte entre créatures antédiluviennes), fredgev (« Lagavulin », hallucinant voyage au bout d'un réel augmenté, diffracté par le cinéma mental du narrateur), Léo Lamarche (« Je ne t'oublierai jamais », bouleversant dans sa simplicité) sont chacun à leur manière plutôt convaincants. Mais s'il faut placer un texte au-dessus des autres, je citerai « L'Exécrable » de Jérôme Noirez, chronique d'un monde à la fois post-révolutionnaire et concentrationnaire, hanté de bourreaux mélomanes (sic) et de parias capables de voir le sang partout où il a coulé. Noirez parvient à déployer une sorte de poésie de la douleur et de la violence qui n'est pas sans évoquer le post-exotisme de Volodine. Construction impeccable, style enlevé : du beau travail.
Amputée d'une dizaine de textes, Identités aurait pu être l'une des fortes anthologies de l'année. Mais Lucie Chenu a privilégié la quantité, donnant à lire quelques auteurs qu'on aurait aimé voir dans d'autres dispositions — ou mieux accompagnés. Pas de quoi crier au scandale, mais pas de quoi se relever la nuit non plus.