Christophe SIÉBERT
AU DIABLE VAUVERT
384pp - 20,00 €
Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99
Poète et écrivain, Christophe Siébert a débuté en 2007 avec son roman J’ai peur (La Musardine). Il est aussi performeur, et lit ses textes accompagné de musiciens ou de vidéo. Et parlons-en, de ses textes : dans le registre noir et horrifique, ils font volontiers la part belle à la pornographie, l’auteur ayant régulièrement été publié chez La Musardine avant d’y diriger une collection ; globalement, on lui retrouve souvent accolé le qualificatif d’underground. Depuis 2019, il est publié au Diable Vauvert, son roman Métaphysique de la viande ayant obtenu le prix Sade.
Comme le dit son auteur, Images de la fin du monde est « une saga post-apocalyptique d’horreur sociale » destinée à s’étendre sur plusieurs tomes (en gros). L’intrigue se passe dans un futur proche — jusqu’en 2025 (hormis quelques flashbacks retraçant le vécu de certains des protagonistes), dans la ville de Mertvecgorod. Cette cité imaginaire est la capitale de la RIM (République Indépendante de Mertvecgorod, qui bénéficie en fin d’ouvrage de sa propre page Wikipédia), un endroit crasseux au possible qui s’étend autour d’une gigantesque décharge à ciel ouvert, la Zona, longue de plus de trente kilomètres, pareille à une énorme boursouflure malsaine symbolisant la décrépitude locale. On y croise de fait nombre de malfrats, de la petite frappe jusqu’au caïd de la pègre locale, des déshérités qui tentent de survivre, des activistes terroristes qui rêvent de renverser la société menée par des politiciens véreux… Les drones – nombreux – survolent et surveillent tout ce beau monde, tentant d’éviter que la cocotte n’explose. Jusqu’à ce que Nikolaï le Svatoj, sorte de gourou gay à la tête d’une milice néonazie qu’il a lui-même mise en place, réussisse à semer le chaos (encore plus), détruisant un échangeur autoroutier et mettant à jour un abîme d’horreur insondable…
Au regard du sous-titre de l’ouvrage, « Chroniques de Mertvecgorod », nul ne sera surpris d’apprendre qu’il s’agit ici d’un kaléidoscope d’histoires personnelles (nouvelles déjà publiées sur divers supports, mais aussi inédites) qui, réunies, brossent le portrait d’un monde en décomposition. Volontiers trash, Siébert ne recule devant rien, allant jusqu’à proposer une violence assez gratuite pour mieux questionner son lecteur, comme dans « Viande humaine » ou la fin de la première partie de « La Danse de mort ». Mais ce qui peut passer pour de la gratuité aux yeux du lecteur n’est en fait qu’honnêteté de la part de l’auteur : la nature humaine est en effet le matériau premier de son travail, et il le manipule avec une évidente fascination pour ce qu’elle a de plus noir et de plus dérangeant, d’autant plus que son style direct, percutant et éminemment graphique, démultiplie la violence. Siébert souhaite provoquer des réactions chez son lecteur, et le bougre y parvient : on ne sort pas indemne de cette lente descente, bien souvent en apnée nécessaire, dans les avanies de l’âme humaine ; gageons même qu’une partie du lectorat renoncera à finir l’ouvrage, tant celui-ci ne fait aucune concession. C’est pourtant là toute la force de ce volume, dans ce jusqu’au-boutisme inébranlable qui culmine dans une liste interminable de femmes victimes de violences et battues jusqu’à la mort – 16 pages d’une litanie d’initiales et de dates de naissance et de décès.
Ce roman a beau se dérouler sur les ruines fumantes de l’ex-URSS, la critique sociale concerne bien le monde global dans lequel nous vivons. Choisir un tel cadre permet à Siébert d’exacerber l’aspect satirique et le cynisme ambiant, mais la violence permanente, les états policiers, la mainmise des groupes financiers sur la politique, tout cela tend à devenir universel et ne saurait être réduit à une quelconque zone du planisphère, fut-elle imaginaire. Au passage, on signalera d’ailleurs une certaine parenté entre cette Mertvecgorod et la Yirminadigrad de Léo Henry et Jacques Mucchielli, autre cité fantasmée plein Est ; si le propos et les moyens mis en œuvre diffèrent dans les grandes largeurs, on y trouvera ici quelques réminiscences, notamment dans sa description de la misère sociale.
Fix-up coup de poing, Images de la fin du monde est donc la première des « Chroniques de Mertvecgorod », ville-dépotoir, creuset d’infamie dont les germes envahissent, insidieusement ou ouvertement, notre société moderne, avec Christophe Siébert en guise de guide trash. D’autres suivront, et si le voyage se révèle éprouvant, la force du propos fait qu’on y retournera sans hésiter. D’ici là, on ne manquera pas de consulter le blog de Mertvecgorod, qui propose de quoi prolonger cette exploration des bas-fonds de l’âme humaine