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Les critiques de Bifrost

Imago

Imago

Octavia E. BUTLER
AU DIABLE VAUVERT
384pp - 23,00 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Suite à la publication de L’Aube en 2022 et de L’Initiation en 2023 (cf. Bifrost n°108 et 112), la parution en février 2024 d’Imago, d’Octavia E. Butler, complète la trilogie « Xenogenesis » jusqu’alors inédite en français. Rappelons que c’est à Marion Mazauric, et à la maison d’édition Au Diable Vauvert, que l’on doit le retour en librairie, voire la découverte, des œuvres de cette grande dame de la science-fiction américaine à qui nous avions consacré le numéro 108 de notre revue.

On retrouve dans la trilogie les thèmes abordées par l’autrice dans l’ensemble de son œuvre, à savoir les mécanismes de domination sociale et l’évolution individuelle nécessaire sous la contrainte d’un changement de paradigme. Ici, la contrainte est d’une brutalité inouïe pour l’espèce humaine. En grande partie décimée par une guerre nucléaire entre nations, l’humanité, ou ce qu’il en reste, se voit proposer comme alternative à l’extinction de renoncer à son libre arbitre, à sa nature même, et de s’hybrider avec les Oankalis, une race extraterrestre aux connaissances en génétique avancées. C’est en véritable ethnologue, voire en xénologue, qu’à partir de cette proposition science-fictive, Octavia E. Butler étudie le devenir de l’humanité face à un mode d’existence, qu’il soit sociétal, familial ou individuel, qui lui est étranger. Comme toujours chez Butler, l’argument est complexe, et la palette des nuances n’autorise jamais le noir et blanc. L’Aube suivait les doutes et les choix de Lilith, femme noire américaine, traitresse et sauveuse de son espèce pour avoir accepté l’échange avec les Oankalis. L’Initiation avançait d’un pas en donnant à lire le point de vue d’Akin, premier enfant hybride de Lilith, un façonné.

Imago pousse plus loin les choses en nous livrant le récit de Jodahs, lui aussi fils de Lilith, lui aussi façonné, mais qui connaît une transformation non prévue par les Oankalis. Jodahs devient un ooloi, c’est-à-dire un individu ni homme ni femme, mais appartenant à ce troisième sexe spécifique à l’espèce Oankali, essentiel à leur reproduction et maître d’œuvre des hybridations. Un ooloi hybride, ni Oankali ni humain, qui représente cette fois-ci un changement de paradigme pour les Oankalis eux-mêmes. Par son intermédiaire, Octavia Butler nous fournit l’occasion d’en apprendre plus sur les Oankalis qu’on ne le soupçonnait précédemment, sur les contraintes qu’ils subissent. Jodah sera le véritable pont entre les deux espèces, offrant à l’une et à l’autre un nouvel avenir, différent de celui qui était jusque-là promis.

Parce l’autrice était noire américaine, de nombreux critiques ont voulu voir dans la trilogie une métaphore de l’esclavage et de l’histoire des Afro-américains. Octavia Butler réfutait l’explication. « Xenogenesis » est une histoire d’invasion extraterrestre et d’altérité profonde, touchant au corps, aux rapports entre individus de sexes différents, à la famille et à l’organisation sociale. Intelligente et saisissante de singularité. Imago en est la parfaite conclusion.

FEYD RAUTHA

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