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Les critiques de Bifrost

Imaro - Intégrale

Charles R. SAUNDERS
MNÉMOS
35,00 €

Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74

Les éditions Mnémos ont eu l’excellente idée de rassembler pour la première fois — après un parcours éditorial complexe — en un fort beau volume les quatre livres (deux fix-up et deux « vrais » romans, formant ensemble une saga complète) consacrés par Charles Saunders à son personnage d’Imaro. Un fort beau volume, oui, indéniablement ; mais très dense, le texte étant fortement tassé, ce qui peut faire un peu souffrir les yeux… On n’enverra cependant pas la facture des soins ophtalmo aux éditions Mnémos, car la lecture de cette intégrale, malgré ce tout petit souci technique, s’avère un régal de bout en bout. Autant le dire de suite, en effet : Imaro est un superbe personnage, probablement le seul digne successeur du Conan de Robert E. Howard (influence primordiale dont l’auteur ne se cache certes pas), avec le Kane de Karl Edward Wagner.

Imaro est à bien des égards un produit de son temps, un héritier des mouvements pour les droits civiques afro-américains et probablement plus encore des Black Panthers. Mais il n’a rien perdu de sa force aujourd’hui. « Conçu pour être le Noir qui botte le cul de Tarzan », le héros de Charles Saunders témoigne d’une entreprise colérique visant à « décoloniser » la fantasy systématiquement blanche. Pour ce faire, l’auteur, dans la droite lignée de Robert E. Howard et de son Age Hyborien, a créé « son » Afrique, imaginaire mais truffée de références transparentes, le Nyumbani. Un cadre magnifiquement détaillé, propice aux aventures épiques, que va arpenter de long en large le colosse Imaro, de son Tamburure natal au Naama qui verra sa quête s’achever.

Imaro est le « fils d’aucun père ». Sa mère est contrainte de l’abandonner à sa tribu des Ilyassai alors qu’il n’a que cinq pluies. Mais elle laisse un guerrier derrière elle… Une épée qui devra être forgée dans la douleur. L’apprentissage est rude, auprès des Ilyassai qui le rejettent comme un bâtard. Mais cela endurcit le caractère d’Imaro, qui grandit sous les quolibets et le mépris pour devenir un géant au destin le dépassant amplement. Car Imaro, à bien des égards, est un « élu » ; et il quittera bientôt les Ilyassai, qui ne l’ont jamais accepté, pour parcourir le Nyumbani à la recherche de son identité et partout combattre les sorciers du Naama à la botte des terribles Mashataan.

Si c’est bien dans la lignée d’Howard que se situent ses premières aventures, sous forme de nouvelles très efficaces et débordant d’action, sa quête prendra sur le tard des accents que l’on pourrait juger tolkiéniens… Mais avec toujours ce même souffle épique qui emporte le lecteur ravi, et ce rythme frénétique qui n’avait sans doute pas trouvé d’égal depuis les meilleurs récits de Conan. Et il faut encore y ajouter un sens du détail anthropologique (qui a son revers, dans un « glossaire » fort complexe se traduisant dans le texte par une abondance d’italiques) absolument fascinant, dans la lignée des meilleurs récits de Jack Vance et d’Ursula Le Guin.

L’action est le maître-mot d’ « Imaro ». Les combats les plus violents ponctuent le récit avec la régularité d’une horloge. Pourtant, le lecteur ne se lasse pas, et continue de se passionner pour les exploits sans cesse plus fous du colosse noir ; qu’il affronte des animaux, des hommes ou des monstres très howardiens (et donc passablement lovecraftiens), Imaro multiplie les prouesses, tel le héros plus grand que nature qu’il est par définition. Toutefois, si les cultures africaines et afro-américaines sont le berceau du héros de Charles Saunders, on pourra légitimement lui trouver aussi une certaine dimension christique (si ce n’est qu’il n’est pas vraiment du genre à tendre l’autre joue…), voire des accents grecs tant son parcours relève de l’épopée tragique. Imaro est en effet destiné à connaître la souffrance à chaque étape de sa vie, et sa quête d’identité et de liberté s’avère semée d’embûches. Personnage aussi fort que poignant, il se révèle bien plus complexe qu’une simple montagne de muscles massacrant à tour de bras.

L’originalité, en dehors de ce superbe cadre « africain », n’est probablement pas la principale qualité d’ « Imaro ». Mais peu importe : il s’agit là d’une fantasy haut de gamme, d’un divertissement de choix qui écrase la pseudo-concurrence. De quoi fournir des heures d’évasion exotique. Un régal qui vaut bien toutes les louanges.

Bertrand BONNET

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