John SCALZI
L'ATALANTE
416pp - 21,90 €
Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63
On a découvert John Scalzi avec le tout à fait recommandable Le Vieil Homme et la guerre et ses suites ; des romans pas forcément très originaux mais d’une lecture agréable, bien ficelés sur le fond, témoignant d’une certaine aisance pour la forme et ne manquant pas d’humour, qui lui avaient valu la reconnaissance du public et l’avaient amené en lice pour le prix Hugo. Ce n’était toutefois pas là sa première tentative romanesque. John Scalzi s’était en effet attelé dès 1997 à la rédaction de cet Imprésario du troisième type (on préfèrera le titre VO, Agent To The Stars) en tant que « roman test » : il s’agissait de voir s’il était capable d’écrire un livre. La réponse lui semblant positive, il mit son livre en partage sur Internet en 1999, invitant les lecteurs à lui envoyer un dollar s’il leur plaisait. Cinq ans et quatre mille dollars plus tard, l’auteur pria les internautes de cesser leurs envois d’argent. Enfin le roman fut publié en édition limitée en 2005, avant d’être repris en 2008.
C’est donc en fait le premier roman de John Scalzi qu’édite aujourd’hui l’Atalante, sous une couverture — moche — d’un Paul Kidby qu’on a connu plus inspiré (pour Terry Pratchett, en l’occurrence), couverture qui donne le ton : il s’agit ici clairement d’un roman de SF humoristique. La lecture confirme vite cette première impression, et l’on ne peut s’empêcher, très tôt, de penser à des classiques du genre, dans la lignée desquels ce roman entend s’inscrire, tels Martiens, go home ! de Fredric Brown, ou peut-être plus encore Planète à gogos de Frederik Pohl et C. M. Kornbluth, la dimension satirique étant clairement affichée. Cibles désignées : Hollywood et le monde des agents artistiques.
Tom Stein est un jeune imprésario aux dents longues travaillant pour le redouté Carl Lupo ; il a déjà à son actif quelques réussites non négligeables, la plus importante étant Michelle Beck, une greluche dont il a fait une star, à tel point qu’il parvient à négocier pour elle un cachet de douze millions de dollars pour son prochain film, un quelconque navet de science-fiction. Peu importe, à ce compte-là, que ladite star ne sache pas jouer et ait le Q.I. d’une huître… Le problème est que l’ex-pom pom girl a des ambitions « artistiques », et qu’elle aimerait décrocher un rôle « sérieux », à savoir celui d’une Juive rescapée de la Shoah et devenue militante des droits civiques après son arrivée aux Etats-Unis, héroïne d’un biopic intitulé Les Heures noires… Sauf que dans l’immédiat, Tom Stein a une autre affaire sur les bras, et non des moindres : son patron le pousse en effet à devenir l’agent des Yherajks, des extraterrestres à l’apparence de blobs qui ont découvert l’humanité à travers les séries télévisées — ce qui explique leur humour lamentable — et qui, outre leur allure peu engageante, ont le fâcheux défaut de puer atrocement. Pour éviter une réaction de rejet de la part de l’Humanité, les Yherajks ont besoin de préparer le terrain, et c’est à cet effet qu’ils contactent Carl Lupo, puis, par son intermédiaire, Tom Stein, afin de les représenter sur Terre et d’aménager la rencontre entre les deux espèces dans les meilleures conditions possibles. C’est ainsi que Tom Stein se trouve hériter du Yherajk Joshua, afin de lui servir de guide et de réfléchir avec lui en secret à cet épineux problème. Ce qui lui impose de lâcher la plupart des artistes qu’il représente, sa nouvelle tâche l’occupant peu ou prou à plein temps ; mais voilà qui ne manque pas de susciter la curiosité d’un journaliste particulièrement persévérant travaillant pour un pathétique torchon hollywoodien, ce qui ne pouvait pas tomber plus mal…
La satire est corrosive et efficace, et l’on retrouve dès ce premier roman bon nombre des éléments ayant fait le succès de John Scalzi, notamment cette écriture d’une rare fluidité qui amène le lecteur à faire défiler les pages comme si de rien n’était, sans que jamais la moindre lassitude ne s’installe. A ce compte-là, on peut bien d’ores et déjà qualifier Imprésario du troisième type de divertissement plus qu’honnête.
Pourtant, le livre déçoit, et son statut de « roman test » ressort régulièrement. On fermera gentiment les yeux sur quelques gags lourdingues ici ou là, notamment ceux versant plus ou moins dans le scato ; dans l’ensemble, le roman reste assez drôle et ne déshonore pas ses prestigieux modèles. Le problème est ailleurs, relevant davantage de la construction romanesque : le livre prend au fil des pages un tournant, peut-être pas « inattendu », les indices ne manquant pas, mais qui ne coule pas forcément de source, et introduit un peu plus de gravité dans le propos ; en soi, l’idée n’est pas mauvaise, mais sa réalisation laisse davantage à désirer : on a un peu l’impression d’un roman fait de bric et de broc, construit au fur et à mesure avec une adresse variable, jusqu’à une conclusion nécessairement hollywoodienne et donc confondante de naïveté (vraie ou fausse, on laissera au lecteur le soin d’en juger). Le roman se perd un peu dans ses différentes trames, qui semblent ne se rejoindre qu’au prix d’artifices de narration (hollywoodiens, certes) plus ou moins bienvenus, ce qui nuit à la suspension d’incrédulité. Et si l’on ne s’ennuie pas à la lecture de cet Imprésario du troisième type, on ne peut néanmoins s’empêcher de régulièrement émettre des réserves sur tel ou tel procédé, et on garde une fois la dernière page tournée un léger arrière-goût d’inachevé, une impression mitigée, hésitant entre les qualités indéniables du roman et ses défauts tout aussi frappants.
Pas terrible, donc ; un divertissement pas franchement mauvais, mais ne s’élevant que rarement au-dessus de la médiocrité, et sur lequel on pourra faire l’impasse sans trop de remords. En attendant — une fois de plus — que John Scalzi nous livre enfin un roman un peu plus ambitieux que ce qu’il a produit jusqu’alors : il en a très certainement les moyens, et quelques passages de cette première tentative en témoignent déjà, mais il se fait attendre, le bougre.