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Les critiques de Bifrost

In cloud we trust

Frédéric DELMEULLE
MNÉMOS
272pp - 19,00 €

Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79

Oubliez les lendemains qui chantent. Les plus pessimistes prévisions se sont désormais réalisées, conduisant le monde au bord du gouffre. L’arrière-plan du nouveau roman de Frédéric Delmeulle n’incite guère à la légèreté. La pollution, le dérèglement climatique, la quasi-extinction de la faune et de la flore, l’épuisement des ressources composent un tableau défaitiste sur lequel les gouvernements n’ont plus aucune prise. Sous toutes les latitudes, des guerres endémiques ravagent désormais les terres aux marges de l’espace mondialisé. Elles aggravent la pauvreté, contribuant à renforcer les mouvements migratoires. Au sein du village global, consumérisme et loisirs se partagent le temps de cerveau disponible d’une humanité qui n’arrive plus à se projeter dans l’avenir. Tout va mal, sauf pour les sociétés transnationales, en particulier la firme Siegwart-Warner, dont le succès dans le domaine de la RealiSim attise la convoitise de la concurrence. Pourtant, l’inquiétude règne au sein du conseil d’administration de la société depuis la disparition inexplicable de quelques clients. Dans les parcs à thème où ils rejouent grandeur nature des scénarios puisés au meilleur de la fiction ou de l’Histoire, le phénomène semble même s’accroître. Sabotage, bogue informatique ou œuvre d’un fou ? Les hypothèses courent, mais moins vite que les opportunités de croissance qu’elles offrent.

La science-fiction s’écrit au présent. In Cloud We Trust confirme l’assertion, car même si le propos de Frédéric Delmeulle ne se révèle guère original sur le fond, l’auteur démontre tout son savoir-faire en livrant un page-turner efficace qui lorgne du côté obscur de l’anticipation. L’auteur opte pour un point de vue omniscient, entrecoupé de chapitres intitulés « bruit ambiant » qui sont autant de pièces d’un puzzle. Le découpage resserré impulse au récit un rythme le rapprochant du thriller, même si le suspense tend à s’émousser aux deux tiers du roman. Car en dépit de l’habileté du dispositif narratif, Frédéric Delmeulle ne parvient pas vraiment à créer la surprise. Ses extrapolations ne font que recycler des thématiques abordées par d’autres auteurs. On pense notamment au Successeur de pierre de Jean-Michel Truong, aux nouvelles de Greg Egan, à la trilogie « Complex » de Denis Bretin et Laurent Bonzon, et à bien d’autres. Par ailleurs, l’intrigue abonde en clins d’œil à des films, des séries télévisées ou des romans de genre. De quoi réjouir le geek et entretenir avec lui un petit jeu intertextuel. De ce point de vue, In Cloud We Trust se révèle une réussite. Pour le reste, il faut se contenter d’un récit sans véritable éclat, volontiers caustique, mais au final assez convenu. Bref, de quoi prêcher des convertis.

Laurent LELEU

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