Maison d’édition québécoise œuvrant depuis une quinzaine d’années, La Peuplade propose un catalogue aux choix assurés, à raison d’une dizaine de titres par an. Paru en ce début d’année 2021, sous une couverture à l’ambiance désolée – du genre Le Monde englouti rencontre Blade Runner 2049 –, Indice des feux est le premier livre d’Antoine Desjardins. Au programme : sept nouvelles. Amateurs de gaudriole et de franche rigolade, passez votre chemin. « À boire debout » raconte à la première personne la fin de vie d’un adolescent atteint d’une leucémie ; depuis sa chambre d’hôpital, il voit la pluie tomber sans fin et suit la fonte des glaces accélérée du Groenland. Poignant. Les nouvelles suivantes seront (heureusement ?) un brin moins tragiques. « Couplet », c’est le surnom donné à cette baleine noire de l’Atlantique – une espèce en danger critique d’extinction qui, en 2017, année où se déroule cette nouvelle, a subi une inquiétante surmortalité –, et à laquelle va s’intéresser le narrateur, alors que lui-même se prépare à devenir père. Mais à quoi bon en ce monde ? « Étranger », c’est cet homme qui tente de revenir chez lui après une nuit de beuverie, et ne se retrouve pas plus bienvenu dans la maison de son ex-compagne que les coyotes qui errent nuitamment dans les rues. La prise de conscience sera douloureuse. Placé stratégiquement au cœur du recueil, « Feu doux » raconte, via les yeux de son frère, le parcours d’un jeune prodige à qui tout est promis et qui préfère s’avancer toujours plus loin dans les marges du monde : n’est-ce pas la meilleure trajectoire au vu de l’avenir qui nous attend ? Foin d’apocalypse dans « Fins du monde » : la fin est ici le bout du monde civilisé, en l’occurrence cette impasse donnant sur une friche industrielle… un lieu promis à la réhabilitation – ou plutôt la destruction, selon le narrateur. « Générale » revient à un cadre naturel : pourquoi, dans ce recoin du Québec, les oiseaux ont-ils disparu du jour au lendemain ? Pour le comprendre, la tante du narrateur va remuer ciel et terre. Le recueil se conclut sur « Almus Americana », récit mélancolique où la fin de vie du grand-père du narrateur rejoint celle de cet orme majestueux planté dans le jardin. L’histoire prend alors des atours mythiques, mais la réalité n’est jamais loin – hélas.
Les sept nouvelles d’Indice des feux ressortissent à la science-fiction de manière très marginale : avec ses désastres climatiques, la première nouvelle pourrait en relever ; les autres tiennent davantage de la littérature générale. Pourtant, les amateurs d’Imaginaire auraient tort de s’arrêter à ces questions d’étiquette. Au fil de son recueil, l’auteur confronte ses personnages à la nature et aux prémices des désastres à venir, sans verser dans le catastrophisme ou le pathos à outrance. Rédigé dans une langue juste, intense, chacun de ces récits est empreint de cette angoisse existentielle face au dérèglement climatique. Indice des feux est une littérature en phase avec l’anthropocène. Et c’est salutaire.