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Les critiques de Bifrost

Infinités

Vandana SINGH
DENOËL
288pp - 20,90 €

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

De Vandana Singh, auteure indienne née à New Delhi, mais vivant et travaillant désormais aux États-Unis, on avait pu lire jusqu’alors des nouvelles éparses (dans les revues Fiction, Angle Mort et le Bifrost 82) qui laissaient présager une plume très intéressante. Le présent recueil, fort de dix récits, d’un essai qu’on se permettra de juger relativement convenu, et d’un glossaire, vient confirmer cette impression de manière éclatante. Sous une sublime couverture d’Aurélien Police, servie par une traduction d’une grande finesse signée Jean-Daniel Brèque (y compris pour les trois textes repris), Singh use de son statut de femme indienne, professeur de physique, pour conférer à ses récits une empreinte très personnelle, où la sensibilité se marie à la subtilité sans pour autant négliger une dimension plus scientifiques.

Le premier trait saillant, c’est la prégnance de la culture indienne. Née et élevée en partie en Inde, l’auteure recourt à ses racines pour le cadre global de la quasi-totalité de ses récits – d’où le glossaire de termes indiens, à tout le moins bienvenu. Aux antipodes d’un décor inhabituel qui viserait à créer un sentiment d’exotisme propice au dépaysement du lecteur, ce cadre fermement ancré dans le quotidien, où le poids parfois trop lourd des traditions ne saurait faire oublier les vertus de la simplicité et du rapport à la nature et aux anciens, sert de terreau extrêmement fertile pour l’imagination de l’auteur. Ici, une femme souffrant du rigorisme exacerbé de son mari se découvre planète et n’aura de cesse de convaincre son entourage de la véracité de sa théorie. Là, une autre craint le retour annuel de la mousson, car elle sait qu’elle devient autre… Il n’aurait sans doute pas été possible à Singh de développer certaines des nouvelles de son recueil en dehors du cadre culturel indien, et de son code de conduite extrêmement rigide.

Si les thèmes abordés sont variés, et peuvent emprunter au fantastique, il s’en dégage néanmoins un attrait évident pour des histoires à fort contenu mathématique ou physique. Professeur de physique, donc, Singh puise dans ses connaissances pour en tirer des visions d’une beauté formelle évidente et hautement suggestives. On y croise donc un tétraèdre qui apparaît brutalement, tel le monolithe de Clarke, en pleine quatre-voies de New Delhi, ou encore un mathématicien qui tente d’accéder à l’infini via son étude de certains nombres remarquables. On y parle souvent d’univers parallèles qui seraient poreux, permettant l’irruption, dans le strict cadre indien qu’on vient d’évoquer, de phénomènes extraordinaires, dont on ne comprend au final pas grand-chose si ce n’est qu’ils génèrent un questionnement permanant sur nous-mêmes.

Car le dernier pan de l’écriture de Vandana Singh, peut-être le plus important, c’est son humanité, une humanité qui imprègne le livre de sa première à sa dernière page. Nous rencontrons ici des personnages authentiques, qui vont nous convier en toute simplicité à partager leur quotidien l’espace de quelques heures, jours, semaines. Cela tient à peu de choses, à une page initiale formidable pour chaque texte qui dévoile en douceur celui ou celle qui va nous accompagner, suscitant aussitôt l’empathie du lecteur. La quatrième de couverture évoque Theodore Sturgeon – on ne saurait être plus d’accord. Même si elle a tendance à prendre pour protagonistes des femmes, ce qui n’a rien d’étonnant du fait de son identité et de la place de ces dernières dans la société indienne, l’auteure brosse également le portrait d’hommes avec une finesse qui n’est accessible qu’à quiconque sait sonder l’âme humaine dans toute sa profondeur, une âme que Singh n’a de cesse de placer au même niveau que les merveilles scientifiques qu’elle nous donne à voir.

Oscillant entre science et poésie, mais d’un humanisme permanent, Infinités révèle de manière éblouissante le talent d’une auteure des plus attachante et à la voix unique, dont on attendra avec une grande impatience la prochaine parution.

Bruno PARA

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