Vienne 1910. Un petit homme moustachu à l’allure peu remarquable est attaqué sans raison apparente dans une rue de la capitale autrichienne. Il est sauvé par une mystérieuse inconnue surgie de nulle part alors que ses attaquants se transforment en monstres au yeux rouges avant de disparaître. Alyane vient de remplir sa mission : protéger Adolf Hitler. Voilà, ça, c’est fait.
Dans InKarmations, nouveau roman publié chez Leha, Pierre Bordage rejoue la classique opposition entre le bien et le mal, entre les anges et les démons, à travers le prisme de ses inclinaisons spirituelles. Les anges sont remplacés par les karmachari, qui obéissent aux Seigneurs du Karma et tentent de sauver l’humanité en intervenant à différents tournants de son Histoire. Les démons sont joués par les rakchas, créatures du Seigneur des abîmes, qui visent eux à terminer l’humanité avec extrême préjudice. Le bien et le mal font place à la notion plus nuancée de karma et aux trois forces que sont la création, l’équilibre et la destruction. Pierre Bordage prend soin de longuement l’expliquer. C’est sur l’équilibre que les Seigneurs du karma veillent, hors du temps, depuis le Vimana, en déchiffrant la trame karmique du passé, du présent et du futur. Lassé de voir ses plans sans cesse contrariés par les interventions des Karmachari — et on le comprend –, le Seigneur des abîmes décide de s’en prendre directement au Vimana.
Libéré de l’unité de temps, InKarmations embarque son lecteur à travers les époques, en plusieurs tableaux, de la préhistoire jusqu’à la colonisation spatiale dans un avenir lointain. La fresque, malheureusement, n’échappe pas aux représentations caricaturales de l’Histoire et des humains qui l’habitent. Ces derniers, alors qu’ils sont au centre des attentions et du combat mythique qui se joue autour de leur destin, sont remarquablement absents du récit. Ignorants pantins de la trame et du drame, leur rôle est de subir, et si Bordage leur confie la force créatrice de l’équation, celle-ci ne sera jamais mise en scène. De même, si les Seigneurs qui s’affrontent ne sont pas des divinités, la résolution des situations fait trop souvent appel un deus ex machina dont l’action, par ailleurs enlevée, aurait très bien pu se passer.
Le fil rouge du récit est un triangle amoureux qui relie les trois Karmacharis Alyane, son prétendant Djegou et son amoureux Elakim. Le personnage de Djegou est assez peu subtil dans son rôle de gentil-mais-pas-vraiment tentant tout pour sortir le récit d’un manichéisme binaire qui s’impose malgré tout. Au final, si on suit Alyane, c’est Elakim, qui, dans ses différentes incarnations, ressort comme le personnage le plus intéressant.
InKarmations ne surprendra pas les connaisseurs de l’œuvre de Pierre Bordage tant les thèmes abordés sont des classiques de l’auteur. Le savoir-faire du conteur célébré en fait un livre agréable à lire, mais qui ne marquera sans doute pas la trame du temps (1).
(1). Ni non plus celle de l’histoire de la maquette de couverture, tant celle qui nous est présentée ici a dû être réalisée par le petit frère du/de la maquettiste attitré(e). [NdRC]