Sylvie MILLER, YOSS
BLACK COAT PRESS
180pp - 16,00 €
Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60
Yoss, de son vrai nom José Miguel Sánchez Gómez Celorrio Pino Bellído Valdivía Rá-mirez Díaz Carnota Calabeo Can Pascual… euh, Yoss, donc, est un auteur de science-fiction, et plus puisque affinités, cubain. D’où ce vilain sous-titre de « Science-fiction cubaine » qui orne cet Interférences, et le ferait presque passer pour ce qu’il n’est pas, à savoir une anthologie. Il n’en est rien. Interférences, qu’on se le dise, est un roman. Enfin, un court roman. Un très court roman. Et un très court « roman novelliste », pour reprendre l’expression de la préfacière et traductrice Sylvie Miller (qui s’est d’ailleurs vu attribuer dernièrement le prix Jacques Chambon de la traduction justement pour l’ouvrage en question), ce qui permet de ne pas parler de fix-up. Interférences est en effet constitué de trois épisodes entretenant des liens assez ténus mais indéniables, à savoir un même cadre et un même ton.
Ce cadre, c’est celui qui oppose deux voisins qu’on ne nommera jamais mais que l’on identifiera sans soucis : un grand pays, démocratique et développé, et un petit pays, pauvre et gouverné par un dictateur plus ou moins affable (Guide Eclairé de Son Peuple) ; sachant que, comme de bien entendu, les deux pays ne peuvent pas se blairer, et se suspectent toujours au moindre petit problème. Thème particulièrement flagrant dans le dernier épisode, « Les Cheminées », qui fut le premier à avoir été écrit, et qui valut à son auteur, paradoxalement, un prix de la meilleure nouvelle humoristique ! Pourtant, le régime cubain en prend pour son grade, de manière tout juste voilée (et encore…), dans ce texte très caustique où la lutte entre les deux ennemis immémoriaux prend des proportions grotesques et s’achève dans l’absurde le plus grandiloquent…
Mais auparavant, le lecteur aura pu se régaler de deux autres petits bijoux de S-F satirique : « Les Interférences » nous raconte comment monsieur Perez, du petit pays, en usant de la fameuse méthode cinétique sur son antenne lors de curieuses interférences, obtient de son téléviseur des images du futur… et Yoss, un peu à la manière d’un Jacques Spitz dans L’Homme élastique, d’en tirer toutes les conséquences. C’est malicieux et astucieux, un vrai bonheur.
Il en va de même pour la deuxième partie, la dernière à avoir été écrite et la plus étrange, « Les Pièces » : cette fois, le phénomène étudié touche essentiellement le grand pays, mais le petit n’est pas épargné pour autant ; un mystérieux rayon transforme des individus en de mystérieux objets « extraterrestres », sans que l’on sache ni comment ni pourquoi. Là encore, Yoss s’amuse beaucoup — et le lecteur avec — à exploiter au maximum son idée et à voir comment le monde réagirait à ce « fléau des pièces », avec un humour très sûr et très fin.
Au final, ce bref « roman novelliste » se révèle pertinent et original, d’une saveur très particulière et indéniablement exotique ; il se lit donc avec beaucoup de plaisir, et on en redemande volontiers…
Ça tombe bien, y’en a encore. Tout d’abord, sous la forme d’un entretien entre Sylvie Miller et Yoss, où l’on en apprend un peu plus sur l’auteur et sur la science-fiction cubaine (on ne sera pas surpris, au passage, de noter qu’Interférences n’a jamais été publié à Cuba, mais seulement diffusé sous forme numérique…). Un bonus intéressant.
Et restent encore deux nouvelles pour les assoiffés de Yoss. Tout d’abord « Ils étaient venus », un texte très légèrement expérimental sur la venue d’extraterrestres sur notre bonne vieille planète bleue. C’est assez bien vu, et plutôt drôle encore une fois. Si la rivalité entre le grand pays et le petit pays est mise de côté, ce texte ne s’en situe pas moins, dans une certaine mesure, dans la continuité d’Interférences et se révèle plutôt agréable.
On sera plus réservé sur le suivant, « Seppuku », qui ne relève en rien de la science-fiction. Cette histoire nippone ne manque ni de panache ni de style, mais a de quoi laisser un peu perplexe et ne trouve pas vraiment sa place dans ce volume.
Il n’en reste pas moins qu’avec Interférences, Rivière Blanche et Sylvie Miller nous ont offert une belle occasion de découvrir un pan largement insoupçonné de culture science-fictive fort intéressant, intelligent et distrayant tout à la fois. On peut bien les en remercier, et espérer de nouvelles réussites du même genre.