Briddey, employée dans une firme de smartphones, va bénéficier avant ses fiançailles avec Trent, séduisant cadre de la boîte, d’une AEC, intervention cérébrale permettant à chacun d’éprouver les émotions de l’autre. Au sein de l’entreprise, seul C.B. Schwartz, génial bricoleur au style négligé, original bougon peu apprécié de ses collègues, relégué au sous-sol de l’entreprise, où les portables ne passent pas, lui déconseille cette opération. Sa pesante et omniprésente famille s’y oppose également, car elle espérait un mariage avec un Irlandais, mais Briddey passe outre.
Évidemment, rien ne se déroule comme prévu : Trent, impatient de réaliser cette communion d’esprit, s’inquiète de ne rien ressentir, tandis que Briddey, paniquée, découvre qu’elle est en contact avec un autre, qui plus est par un lien télépathique. C’est le début d’une réaction en chaîne qui fera d’elle le réceptacle des pensées de tout le monde, au risque de la folie, si elle n’apprend pas à se protéger de cette invasion mentale, laquelle ne serait pas liée à l’AEC proprement dite…
Dès le départ, le ton est donné : il s’agit d’une comédie proche du théâtre de boulevard, qui accumule les interruptions et les quiproquos pour dynamiser une intrigue sans épaisseur. De fait, elle repose sur les dissimulations qui deviennent mensonges, anodins à l’origine, mais finissent par créer des situations intenables. L’ambiance survoltée qui domine le récit s’appuie dès lors sur un sentiment d’urgence le plus souvent factice, proprement épuisant.
Les intrigues basées sur des pouvoirs psi, surtout télépathiques, en vogue dans les années 40 et 60, avec notamment la psionique campbellienne, étaient tombées en désuétude en science-fiction. Aussi, cherchant à dominer son sujet pour mieux le justifier, Connie Willis effectue un tour d’horizon de cas limites, depuis les voix qu’entendent les mystiques et les malades mentaux jusqu’aux expériences de laboratoire comme celles de Rhine. Ce faisant, elle ne le renouvelle en rien. Pis, elle ne tient pas compte des avancées en neurosciences et cognition sur les processus de la pensée, préférant s’en tenir à une conception simpliste de la télépathie, proche d’un échange téléphonique (allô, je te réveille ? t’es où ?), qui assoit définitivement son roman dans le registre du divertissement.
Le roman est bien sûr une critique de la société de communication qui enferme tout un chacun dans une sphère électronique saturée d’e-mails et de SMS ne laissant aucun instant de répit, prélude à l’enfer ultime que serait l’implant « télépathique ». La conclusion selon laquelle il n’est pas souhaitable de lire dans l’esprit de son entourage ne surprendra personne. Reste qu’évoquer l’ensemble des conséquences indésirables à la faveur d’intrigues intimistes ne contribue pas à sauver un roman excessivement bavard. Si les longueurs dont Connie Willis est coutumière favorisent, dans ses récits de voyage temporel, l’immersion dans la période historique considérée, elles se révèlent pesantes dans un cadre contemporain qui multiplie, comme un clin d’œil au lectorat visé, les références à des stars du show-biz et de la télé-réalité.
Qu’on se rassure : Connie Willis n’a rien perdu de son sens de la narration ; elle sait mieux que personne transformer une scène banale en véritable page-turner. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le roman soit un jour adapté en téléfilm diffusé pour les fêtes de fin d’année. Mais ce savoir-faire ne peut rien face au choix d’un sujet aussi galvaudé et à son traitement dans le cadre d’une comédie romantique.