John KESSEL, Geoffrey A. LANDIS, Walter Jon WILLIAMS, Howard WALDROP, Thomas DAY, Francis MIZIO, Marc SÉASSAU, Andrew WEINER, Paul J. MCAULEY, Kim NEWMAN, Pat CADIGAN, André-François RUAUD, Johan HELIOT, Marie-Pierre NAJMAN, Philippe CURVAL, Patrick
LE BÉLIAL'
304pp - 19,66 €
Il fut un temps où, en France, fleurissaient les anthologies originales de S-F. Sans parler du « Rayon Fantastique » ou des numéros spéciaux de Fiction dès les années 50, rappelons qu'en 1966 chez Casterman sortait Histoires fantastiques de demain, d'Alain Dorémieux, inaugurant une remarquable série et ouvrant la voie à Denoël, Marabout, Seghers, 10/18 ou Londreys. Il y eut aussi des florilèges francophones chez Opta, Denoël, Kesselring... Et puis, le vide. Univers s'est éclipsé en 1990, et on n'a plus vu par ici d'anthologie originale — et professionnelle, et thématique — de S-F jusqu'à la sortie de Century XXI (Encrage).
C'est dire combien la parution chez Bélial/Orion — après Histoires de cochons et de science-fiction — d'Invasions 99, premier livre en grand format publié par la petite maison d'édition, constitue un événement. Sous une belle couverture de Jeam Tag sont réunis dix-sept récits (et trois interludes) qui traitent de l'invasion extraterrestre remise en vogue depuis peu par X-Files et Independence Day. (Ceci étant, le ton de nouvelles, volontiers irrévérencieux, se rapproche plutôt — pour rester dans le domaine du cinéma — de The Arrival ou de Men in Black.)
John Kessel ouvre le recueil par un texte fort, « Envahisseurs », qui met en parallèle la venue sur Terre (en 2001 !) d'E.T. excentriques et le génocide des Incas au XVIe siècle. « Les Habitudes singulières des guêpes », de Geoffrey A. Landis, superbe pastiche, permet à Sherlock Holmes d'expliquer les meurtres de Jack l'Éventreur. On poursuit avec « Les Diables étrangers », de Walter Jon Williams, sorte de suite allumée de La Guerre des mondes sise dans la Chine impériale agonisante ; c'est dans la même optique que l'iconoclaste Howard Waldrop a écrit le délirant « La Nuit des tortues », où les Texas Rangers atomisent de l'E.T. conquérant. « Cette année-là l'hiver commença le 22 novembre », de Thomas Day, premier texte français du recueil, et hommage à Waldrop, revisite l'assassinat de Kennedy ; Day fait preuve de maîtrise plus que d'originalité, mais il s'agit là d'un de ses meilleurs textes. Francis Mizio lui succède au sommaire avec une pochade habile à la Sheckley, « L'événement des événements », où des E.T. débarquent à Paris lors de la finale de la Coupe du monde pour vendre un produit d'un intérêt... limité. Ainsi finit la première partie de l'anthologie : “Hier”.
Le premier interlude de Marc Séassau, comme les deux autres d'ailleurs, m'a laissé sur ma faim, mais le conte bref, exercice difficile, n'est pas ma tasse de thé.
La seconde partie, “Aujourd'hui”, débute par « Streak », d'Andrew Weiner, un texte mineur d'un auteur doué (j'avoue m'intéresser modérément au base-ball). Paul J. McAuley et Kim Newman ont, par contre, écrit un véritable chef d'œuvre, « Résidus », qui allie un examen au scalpel du rôle des médias dans notre société à un portrait émouvant d'un héros déchu. Pat Cadigan, dans « J'ai été le jouet sexuel des dieux » (palme du meilleur titre), nous entraîne à nouveau dans le délire pur — un bijou noir. « Imago », vignette absconse d'A.-F. Ruaud, m'a plus séduit par son style que par son intrigue, ténue, ou sa pertinence thématique.
Nous en venons à “Demain”, curieusement la partie la moins fournie du recueil. « Tu n'oublieras point », de Johan Heliot, est un texte percutant, émouvant, même si l'on devine la fin assez vite — le suspense n'étant pas son propos. Je n'ai guère trouvé d'intérêt à « Les Sondes », de Marie-Pierre Najman, convenu et trop lourd en pathos, mais bien tourné.
Le dernier éventail de textes, regroupé sous le titre “Ailleurs”, est plus convaincant que le précédent. Si « Journal contaminé », de Philippe Curval, déconcerte au premier abord et me semble n'entretenir qu'un rapport des plus vagues avec le thème de l'anthologie, il n'en reste pas moins une performance sur le plan de l'écriture et de la structure, et un summum d'émotion contenue. « Le Syndrome du caméléon », de Patrick Raveau, est plus intéressant dans ses prémices que dans sa réalisation, un peu guindée — on reste pourtant au-dessus de la moyenne. Claude Ecken, qui a décidément plus d'une corde à son arc, relève encore la barre avec une nouvelle originale et érudite, « Fantômes d'univers défunts ». Le recueil se clôt par un feu d'artifice, « Les Mystères de la Sainte Propulsion », de Dominic Green, comparable aux textes les plus flingués de Barrington J. Bayley ; il s'agit également d'une virulente attaque contre la religion, le colonialisme et les liens qu'ils ont entretenu et, parfois, entretiennent encore.
Au total, une anthologie remarquable, où les textes moins aboutis se détachant d'autant plus que le niveau d'ensemble est élevé. C'est sans réserve que je conseille ce fort volume à tous les lecteurs — humains et extraterrestres.