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Les critiques de Bifrost

Inversions

Iain M. BANKS
LIVRE DE POCHE
416pp - 8,40 €

Bifrost n° 10

Critique parue en octobre 1998 dans Bifrost n° 10

[Chronique de l'édition originale anglaise parue chez Orbit en juin 1998]

Le nouveau Iain M. Banks est un livre déroutant car il ne ressemble en rien aux œuvres précédentes de l'auteur. En effet Banks, que l'on connaît surtout en France pour ses romans sur l'univers de la Culture (voir critique d'Excession, plus haut), nous propose ici un tout nouveau visage. Lui qui nous avait habitué à un style léger et chargé d'humour, accouche avec Inversions d'un livre noir et dérangeant.

Inversions raconte deux histoires qui s'alternent au fil des chapitres. Le narrateur nous décrit ses travaux et ses jours en tant que page de la doctoresse du roi, tout en offrant, en parallèle, le récit de la vie du garde du corps d'un autre monarque vivant de l'autre côté des montagnes. Et si le seul lien objectif entre les deux histoires est ténu, elles parlent d'une même voix de trahisons, d'amour contrarié et de mensonges.

Les personnages sont d'une extrême richesse : le garde du corps fait montre de sensibilité et de tendresse, alors que la frêle doctoresse se révèle capable de défaire ses adversaires à mains nues. Le page, quant à lui, traverse les émois de l'entrée dans l'âge adulte, tiraillé entre passion et loyauté. Le récit nous entraîne irrésistiblement de salles de torture en laboratoire d'alchimie, et on assiste au sacrifice des protagonistes sur l'autel des intrigues de cours sans jamais parvenir à percer leur mystère. Les événements inexplicables restent inexpliqués, et le narrateur avoue son incapacité à nous éclairer. De son récit fait de brouillard, il s'excuse en affirmant qu'il n'en sait pas plus et que, quelquefois, il faut savoir faire avec ce qu'on a puis continuer sa vie. Cette narration nous colle à la peau et laisse comme une impression poisseuse de sang sur les mains…

Inversions est un livre sans espoir et sans issue mais chargé de poésie. La voix de Banks, envoûtante, y résonne comme l'écho d'un murmure, et il est tout aussi difficile de s'en défaire que d'imaginer qu'il s'agit bien du Banks que l'on cornait. En définitive, on enragerait presque de savoir Inversions en tête des best-sellers de l'été, tant on aimerait le garder pour soi, être seul à connaître ce Banks nouveau. Et finalement de constater que nul doute n'est plus désormais possible : cet homme est un magicien.

Sophie GOZLAN

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