Vincent, ingénieur de haut niveau au creux de la vague et en proie à des déboires affectifs, vient tenter sa chance au Brésil, chez Globo, nouveau leader sur le réseau mondial. Il escompte se rapprocher de son ex, Chloé, ingénieur de pointe également, mais chez Foréa, entreprise qui veut débusquer de gigantesque réserves de gaz dans le manteau terrestre pour faire face à l’épuisement des ressources en hydrocarbure. Ce qui le rapprocherait aussi de leur fille, Angie. Il est accueilli à Sao Paulo par Sebastian Terra-Pereira, le « jeune milliardaire sympathique ». (C’est un concept !) Si les affaires de M. Terra-Pereira sont florissantes, ce monde-là ne tourne cependant plus très rond : il y a l’AMAS — Anomalie Magnétique de l’Atlantique Sud — qui s’intensifie et est à l’origine de pas mal de désastres, dont la chute des drones de surveillance qui maintenaient bon an mal an les cohortes de pauvres dans leurs favelas. L’émeute ne tarde guère…
Involution commence par suivre trois lignes narratives qui se rejoignent finalement assez vite car le roman est court. Outre Vincent et Chloé, on suit César/Exu, un crackolero régnant sur Crackolandia et initié à la quimbanda, une magie noire qui est au vaudou (ou à la santeria) ce que la samba est à la salsa. On passe plus de la moitié du roman sur un faux rythme tout en se demandant où Héliot veut nous emmener, percevant toutefois les prémisses d’une catastrophe… Tout s’emballe lorsque Chloé tente de franchir la discontinuité de Mohorovicic (le Moho) avec une foreuse sonique — les allusions à Stephen Baxter en quatrième de couv’ trouvent là leur crédit ; on pensera aux « Xeelees », ou aux « Inhibiteurs » d’Alastair Reynolds. Le forage libère ? déclenche ? un processus ? une entité ? qui interrompt les mouvements des masses de fer liquide dans le noyau terrestre à l’origine du champ magnétique protégeant le vivant des flux de particules à haute énergie et de radiations dures ; c’est le point final à l’aventure humaine, qui entre dès lors dans l’ère de l’involution…
Reste qu’on ne peut évacuer un défaut dans la structure de l’intrigue : l’AMAS, qui occupe le devant de la scène au début du roman, finit par passer en pertes et profits. Le forage de Chloé n’était pas lié aux recherches sur l’AMAS, qui mettaient en lumière le risque d’une disparition du champ magnétique. L’entité intraterrestre aurait décidé d’éradiquer l’humanité avant le forage, à moins que ce ne soit celui-ci qui lui en révèle l’existence, qu’elle interprète comme un facteur de risque. Il semble que l’entité veuille utiliser les restes de l’humanité involuée pour préparer la venue des Initiateurs (ceux qui ont créé l’entité), alors même que l’humanité apparaît comme un impromptu. L’enchaînement des causes et effets n’est pas clair, mais il faut prendre un certain recul pour saisir ce défaut de cohérence interne qui n’a cependant rien de rédhibitoire. Il suffit de se laisser porter par le flot du texte pour y prendre plaisir, d’autant qu’il n’est pas si fréquent qu’un auteur hexagonal nous offre une telle vision universelle pour une fin du monde douce-amère.