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Les critiques de Bifrost

Isolation

Isolation

Greg EGAN
DENOËL
320pp - 20,58 €

Bifrost n° 88

Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88

Il faudra attendre huit ans après la parution originale d’Isolation pour enfin lire ce roman en français, non pas dans la collection « Ailleurs & demain », comme les romans précédemment traduits de l’auteur, mais en « Lunes d’encre », chez Denoël. D’où vient cette différence ? Peut-être parce qu’Isolation, bien qu’étant de la SF pur jus, se mâtine aussi de polar et de thriller. C’est d’ailleurs ainsi que le roman débute : Nick Stavrianos est la figure archétypale du détective privé, paumé après la mort de sa femme dans d’un attentat lié à ses investigations autour d’une secte créée suite à l’apparition de la Bulle. La Bulle : une sphère englobant le système solaire et le coupant de l’extérieur depuis une trentaine d’années. Nick est engagé pour enquêter sur la disparition mystérieuse d’une femme. En état végétatif avancé, celle-ci est pourtant sortie de sa chambre d’hôpital, fermée à clé et surveillée. De fil en aiguille, le long d’une investigation complexifiée par les technologies permettant de remodeler le corps humain, la piste de la disparue mène Nick vers l’enclave australienne de la Nouvelle Hong Kong, paradis des entreprises travaillant de manière plus ou moins transparente sur la biomédecine. Isolation change alors complètement de registre : finie (presque) la trame de polar, on bascule dans la mécanique quantique. Avec, comme toujours chez Egan, une idée centrale déclinée dans toutes les directions. Cette fois-ci, c’est la fonction d’onde qui est au centre des débats : dans l’expérience du chat de Schrödinger, avant que l’on ouvre la boîte, le chat coexiste dans deux états, mort ou vivant. L’observation, lorsqu’elle survient, réduit la fonction d’onde, de telle sorte qu’il n’existe alors plus qu’une seule réalité. Tout être humain, faisant office d’observateur, réduit ainsi en permanence la fonction d’onde. Mais que se passerait-il si une personne avait la possibilité de conserver intact le paquet d’onde, et d’influer sur les probabilités associées aux différents états, voire de réduire le paquet d’onde à sa guise ? C’est tout l’enjeu de la seconde partie de ce roman, où Egan se livre à une analyse exhaustive des tenants et des aboutissants d’une telle idée. Avec, immanquablement, une prédilection pour les implications métaphysiques et philosophiques. La notion de perception de la réalité (à la Philip K. Dick, disons) est centrale, car le protagoniste est confronté non pas à une réalité ni à un univers parallèle, mais bien à une multiplicité d’univers potentiels qui existent l’espace d’un instant, se démultiplient avant d’être implacablement réduits… si bien qu’au final on ne sait jamais réellement, parmi tous ces univers, lequel a le plus de probabilité d’être le nôtre l’instant d’après la réduction. D’ailleurs, au moment de la réduction, quelle certitude avons-nous d’être réellement la même personne que celle qui existait un instant auparavant ? Vaste question, surtout quand on vit dans un monde où chacun se fait implanter des neurogiciels capables d’influer sur notre comportement, et qui diluent les notions d’identité et de libre arbitre. Foisonnement d’idées, donc, ce qui constitue la marque de fabrique de l’auteur, mais rarement la pyrotechnie aura été autant maîtrisée chez Egan : ça foisonne, mais, tel le fameux chat, le récit retombe toujours sur ses pattes.

Bref, Isolation s’avère un vrai tour de force littéraire, une nouvelle fois propice à l’émerveillement du lecteur, basé sur des spéculations scientifiques de haute volée : Greg Egan dans toute sa splendeur.

Bruno PARA

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