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Les critiques de Bifrost

Jade

Jade

Jay LAKE
ECLIPSE
534pp - 18,00 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

Encore méconnu en France, Jay Lake signe avec Jade une bonne surprise, un portrait de (jeune) femme réussi doublé d’une intrigue solide, le tout situé dans un univers au parfum volontiers capiteux mais âpre avant tout.

Débutant comme le « simple » (et classique) journal d’une petite fille arrachée à une famille pauvre découvrant un monde dont elle ne comprend pas les codes et qu’elle va devoir peu à peu apprendre à maîtriser tout en demeurant à la merci de ses « ravisseurs », le roman prend bien vite une toute autre ampleur… On remerciera d’ailleurs, au passage, les éditions Eclipse pour ne pas révéler les trois quarts de l’histoire via la quatrième de couverture, comme cela arrive encore si souvent. Le contraire eût été regrettable : le lecteur prend peu à peu ses marques, tout comme l’héroïne, dans cet univers qui évoque évidemment un parfum d’Orient, ses couleurs chamarrées et ses modes de pensée, tout en disposant d’une identité propre et même assez marquée. Il y a vite quelque chose de fascinant dans ce récit, tout comme dans le comportement et le témoignage de Jade, dont le caractère bien trempé s’affirme malgré de réelles failles qui ne la rendent que plus humaine, réelle. Elle doute, fait des erreurs. On pourra bien sûr la trouver particulièrement mature pour son âge, voire un peu trop, mais n’oublions pas de tenir compte des circonstances de l’intrigue.

Divisé en trois grandes parties, l’histoire que brosse Jay Lake sait en tous les cas conserver un véritable fil directeur, tout en prenant le temps de s’étoffer ici ou là. A travers ses personnages — les seconds rôles marquants ne manquent pas —, mais aussi tout simplement via les lieux et les codes de ce monde, quand il ne s’agit pas de ses enjeux. Pour autant, il n’est pas seulement question d’un récit introspectif retraçant le passage à l’âge adulte d’une jeune fille ayant dû grandir trop vite…

L’apprentissage ponctué d’épreuves que traverse celle-ci donne en effet lieu à plusieurs séquences d’action de haute volée, qui, n’en doutons pas, devraient contenter les amateurs du genre. Sans pour autant que le rythme en devienne échevelé. La question n’est pas là. Le voyage en lui-même compte finalement plus que ses diverses destinations.

Mais au-delà de tout cela, le roman de Jay Lake ne se refuse jamais à une certaine amertume. Les erreurs se paient. Les regrets ne servent à rien. Le sang et les larmes ne font pas tout. Jade elle-même peut sembler parfois froide, afficher une démarche clinique, mais avec elle, c’est l’émotion qui bouillonne à fleur de peau. Il arrive même qu’elle nous prenne à la gorge sans crier gare au détour de certaines scènes.

Son histoire nous est contée avec talent, l’auteur disposant d’une plume racée, rehaussée de quelques jolies images, parfois audacieuses, mais aussi régulièrement (trop ?) empreintes de tournures de phrases un peu lourdes. Lake ne s’interdit en tout cas aucun sujet. Le roman est donc avant tout centré sur ses personnages et bien entendu son héroïne en premier lieu, mais sans négliger pour autant tous les autres aspects qui font une bonne histoire.

Reste une conclusion forcément frustrante — on s’attendait à accompagner Jade encore longtemps —, un troisième acte un rien déroutant qui pourrait bien ne pas convaincre tous les lecteurs et s’avère un bon cran en dessous de ce qui précède… Et pourtant, chaque partie du roman aurait presque pu alimenter un livre entier. La richesse de l’univers est là, de même que la complexité des personnages qui le peuplent.

Le poids des enjeux se joue de la légèreté des êtres, de la vacuité des existences. Mais il y a des choses que l’on n’oublie pas, peu importe les vicissitudes du destin. C’est aussi le cas de Jade.

Emmanuel CHASTELLIÈRE

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