Sylvie Denis publie sa première nouvelle en 1988, puis enchaîne sur un rythme de un à deux textes par an : un premier recueil de cinq nouvelles, Jardins virtuels paraît ainsi dans la collection « Cyberdreams » en 1995. Huit ans plus tard, « Folio SF » réédite et augmente le recueil : treize textes constituent dès lors le sommaire de ce volume de plus de 500 pages. Treize, dont une bonne moitié de longues nouvelles : l’espace nécessaire à l’autrice pour proposer un développement adéquat à ces esquisses de futurs qui, bien souvent, déchantent. Sylvie Denis s’empare de thèmes classiques de SF (le clonage, la virtualité, l’interfaçage entre homme et machine, le transhumanisme…) pour questionner notre futur avec une belle cohérence d’ensemble. Aux dangers du clonage (« Élisabeth for ever », où un père commet la pire des offenses envers sa fille) répond le même clonage vu comme un élément constitutif d’utopie (« De Dimbour à Lampêtre »), à l’humanité en grande partie cantonnée à des enclaves sur les ruines de l’Europe (« Dedans, dehors ») et la volonté d’émancipation de sa protagoniste, répond le monde à deux vitesses de « La ballade du singe seul », etc. Cela, toujours avec comme objectif l’analyse des évolutions scientifiques et technologiques – souvent le cœur du propos et toujours fort bien documentées – en termes d’impact sur la société humaine. Les nouvelles posent des questions, suggèrent des éléments de réponse, mais sans certitudes, laissant le lecteur libre de poursuivre la réflexion après sa lecture. Si les perspectives ne sont guère réjouissantes (le réchauffement climatique de « Fonte des glaces », par exemple), Denis ne sombre toutefois pas dans la morosité, et nous offre des textes parfois rythmés, parfois plus contemplatifs, dans lesquels un élément reste stable dans le temps et l’espace : la force des relations humaines, qu’il s’agisse de la faculté qu’ont certains de prendre en main leur destin, de lutter pour leur liberté (comme les bien nommés Amis de l’Humanité, présents dans deux textes), ou de cette femme qui réussira à assumer pleinement son humanité en devenant intelligence artificielle (« L’Anniversaire de Caroline »). Du reste, on notera l’omniprésence des relations filiales dans cet ouvrage, que Denis décortique selon différents angles, conflictuels ou complices, comme ce très émouvant « Cap Tchernobyl » où un jeune garçon accompagne son père mourant dans sa dernière volonté, celle de voir des tigres en liberté. Les protagonistes de Sylvie Denis sont bien souvent des enfants, ou de jeunes adultes : voir le monde à travers leurs yeux permet d’éviter la vision biaisée car orientée de l’adulte.
Jardins virtuels se révèle ainsi la porte d’entrée idéale pour l’œuvre de Sylvie Denis, un recueil solide, homogène de bout en bout, pétri d’humanité et de perspectives scientifiques et technologiques passionnantes. Depuis 2003, l’autrice a écrit une poignée de nouvelles à même de constituer la matière d’un nouveau beau recueil ; avis aux éditeurs éclairés.