Il arrive parfois de passer à côté d’œuvres formatrices du genre, dans son enfance ou son adolescence, et de les découvrir bien plus tard, adulte. Et il est d’autant plus appréciable que certains éditeurs effectuent un travail de mémoire et proposent à de nouvelles générations (et en guise de rattrapage, aux plus vieilles) lesdites œuvres remises en perspective. Tel est le cas des éditions Critic avec Jarvis - l’intégrale, qui regroupe les six romans de la série pour la jeunesse de Christian Léourier parus entre 1974 et 1978, et y ajoute un dernier tome, Les Chemins d’espérance, laissé inédit par la disparition de la collection qui aurait dû l’accueillir, précise l’auteur en avant-propos. Le tout encadré d’une préface signée Estelle Faye et d’une postface de Xavier Dollo, pour expliquer l’impact qu’a eu ce cycle sur leurs propres parcours d’amoureux des mots et de l’Imaginaire. Autant dire que, malgré ses plus de neuf cents pages, ce pavé intrigue et retient l’attention.
Oubliez un instant vos a priori, si vous en avez, sur l’âge approprié pour lire un ouvrage. De 8 à 88 ans (et au-delà), n’importe quelle personne aimant l’aventure, la découverte de nouvelles civilisations et l’espace peut prendre du plaisir à découvrir ces récits. D’autant qu’ils diffèrent tous les uns des autres. Les trois premiers – Le Messager de la Grande Île, Le Paradis des hommes perdus et L’Envoyé du quatrième règne – forment un tout cohérent relevant du planet opera, où l’on découvre Jarvis, jeune homme malheureux vivant dans un trou paumé d’une planète-océan ayant perdu tout contact avec la Terre des origines, ainsi que la majeure partie de son savoir technologique. Sa quête des origines le conduira à explorer sa planète et à croiser la route de divers compagnons avant de finir par s’envoler loin de là, à la recherche de la Terre. Les romans suivants sont le récit de différentes rencontres qu’il fera dans l’espace et apporteront une réponse finale à cette quête du berceau. Ils s’apparentent plus au genre du space opera, et font immédiatement penser à Jack Vance, avec le principe simple : une rencontre, un environnement avec ses enjeux à résoudre, une leçon nouvelle pour les protagonistes.
Suivant les goûts, certains seront plus attirés par la première partie, d’autres par la seconde, plus sombre et pessimiste pour l’avenir de l’humanité. Et si le héros principal est un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence qui arrivera à séduire la scientifique de service et à s’imposer face à des gens bien plus expérimentés que lui, le cycle de « Jarvis » reste plutôt moderne malgré cette trame. La scientifique en question n’est pas une potiche se pâmant devant les décisions de Jarvis, ni une demoiselle en détresse à sauver à la moindre occasion. Au contraire, elle a ses propres objectifs, ses propres aventures (dont nous ne savons pas tout, l’histoire restant centrée sur le protagoniste), et maintient son indépendance. En revanche, le héros est loin d’être parfait, et certaines de ses décisions sont visiblement mauvaises.
Si l’ensemble reste plaisant, l’écriture d’un roman à l’autre est inégale et certains souffrent de longueurs… Mieux vaut alors picorer cet ouvrage, soit du début à la fin en alternant avec d’autres livres pour qui ne connaît pas l’histoire de Jarvis, soit en choisissant un roman de-ci, de-là, pour qui l’a découvert plus jeune ou ne craint pas de se faire divulgâcher une partie de l’intrigue. En tout cas, si vous aviez besoin d’une preuve que la SF française sait produire du récit d’aventure intelligent et ludique, ne cherchez pas plus loin : Jarvis - l’intégrale est le livre que vous attendiez.