Jaroslav MELNIK
ACTES SUD
384pp - 23,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
5870. Depuis le Grand Bond, la science et l’intelligence artificielle ont résolu tous les maux de l’humanité, jusqu’à lui offrir l’immortalité, grâce aux korgs, des enveloppes corporelles élevées dans des korgariums destinés à accueillir les cerveaux transplantés des humains. Changer de corps pour vivre à l’infini est monnaie courante, voire obligatoire, pour mener une existence épanouie dans l’État Éternel (ETANEL). Dio, mille ans, a vécu de nombreuses vies et il espère bien continuer ainsi jusqu’à… eh bien, jusqu’au grain de sable.
Celui-ci a pour nom Kaya, une habitante de l’Oasis de Vérité où vivent tous les humains qui prônent un retour à la vie d’avant, au temps des sauvageons (comprenez, le nôtre), et ne désirent qu’une seule chose : expérimenter la mortalité. Or, cette Vérité commence à faire son nid parmi les immortels, dont certains ont rejoint les rangs de ces hérétiques. Et on ne peut pas dire que ce mouvement migratoire soit au goût de tout le monde. L’ETANEL doit faire quelque chose, et on va bientôt accuser ce dernier d’être responsable des morts qui se succèdent au sein de l’Oasis.
L’immortalité, c’est chiant. La vie de Dio n’est pas des plus palpitantes. Quand on en arrive à choisir un korg féminin pour le féconder avec la semence de son propre corps mâle qui est sur le point de mourir, on peut supposer que l’immortalité est un état tellement chiant qu’il pousse à faire des choses incroyablement glauques. Ce futur ne donne donc pas plus envie que de coucher avec son père… Mais ne vous inquiétez pas, l’inceste n’existe pas à cette époque puisque le cerveau dudit père aura intégré un korg différent de celui qui aura fécondé votre mère ; et puisqu’il vous est interdit de dévoiler votre identité à votre partenaire, vous et lui n’en saurez rien. Passé ce moment de gêne et le long explicatif sur le fonctionnement de cette société, les morts ne relèvent pas pour autant la sauce. Peu importe l’intrigue, qui repose sur des jambes fragiles, là n’est pas le but de ce roman philosophique et introspectif, le grain de sable dans les rouages ne sert au protagoniste qu’à se questionner davantage sur sa propre humanité, et sur celle de la société dans laquelle il vit depuis mille ans. Il était temps… Sans surprise, la liberté à laquelle il aspire n’arrivera jamais car l’IA est bien trop puissante pour laisser la brebis galeuse filer. Un reset et c’est reparti !
Les avancées technologiques de cette société futuriste ont bien peu d’importance. Les explications sur le fonctionnement de l’ETANEL sont longues, le style est froid, linéaire, sans saveur comme la vie d’immortel qui ne nous fait ni frémir, ni rêver. Quant à la profusion de sigles, BASET (Bases de Vie Eternelle), CONCLIM (Conseil Climatique) CONTEXT (Contact Extérieur) ou encore CERVART (Cerveau Artificiel), elle s’avère pénible et artificielle.
Melnik a construit son roman autours des nombreuses réflexions qui servent d’essence au cerveau millénaire du protagoniste, mais ce parcours initiatique n’est ni original, ni palpitant, ni hors du commun. Un énième héros qui gratte le vernis écaillé de sa vie et ne nous apprend rien de plus sur notre incapacité à sortir du rang ou les dangers de l’intelligence artificielle. On se lasse de lire ce livre.