Après les guerres de religions françaises du XVIe siècle (Royaume de vent et de colère) et celle d’indépendance du premier siècle en Angleterre (Boudicca), Jean-Laurent Del Socorro continue d’inscrire son œuvre romanesque dans la Grande Histoire avec Je suis Fille de rage, qui survole en 500 pages la guerre civile qui ensanglanta les États-Unis de 1861 à 1865. Un conflit dont, en France, on ne connaît souvent que les grandes lignes et quelques batailles célèbres, Gettysburg en premier lieu, et que l’auteur nous fait revivre à travers une multiplicité de points de vue, confédérés et unionistes, généraux et soldats, noirs et esclavagistes. On retrouve ici comme dans ses précédents romans la capacité de Del Socorro à camper des personnages et des situations dramatiques en de très courts chapitres qui vont droit à l’essentiel, à tirer les grandes lignes de cette guerre – de nombreux chapitres proviennent de correspondances réelles – et en parallèle à nous plonger dans l’horreur qu’elle fut au quotidien, les assauts suicidaires, les morts inutiles et absurdes.
Tout cela est très bien fait, Jean-Laurent Del Socorro a un talent de conteur qui n’est plus à démontrer. Pourquoi en parler dansBifrost ? Là, j’avoue que les arguments me manquent. Je suis Fille de rage est un roman historique qui n’a pas à peu près rien à voir avec les littératures de l’imaginaire. La part historique était déjà prépondérante dans ses romans précédents, mais ils se rattachaient in fine à la fantasy, que ce soit par l’utilisation, même discrète, de la magie (Royaume de vent et de colère) ou par le côté légendaire de son héroïne (Boudicca). Ici, le seul élément qui pourrait relier ce livre à nos genres de prédilection se limite aux dialogues d’Abraham Lincoln avec une incarnation de la mort, laquelle tient un compte macabre sur les murs de son bureau en traçant à la craie un trait pour chaque victime de cette guerre. C’est peu. Plus généralement, on pourrait éventuellement reprocher à ce roman de coller de trop près à la réalité historique, de ne pas faire appel à un imaginaire qui irriguait ses œuvres précédentes. Ça n’en reste pas moins un très bon texte, même s’il n’a pas grand-chose à faire ici.