De Christian Chavassieux, on se souvient de Mausolées et des Nefs de Pangée (cf. Bifrost 73 et 81), publiés chez Mnémos. Le deuxième, notamment, vaste fresque d’aventures héroïques, mais aussi politiques et sociales, obtint fort justement le prix Planète-SF. Mais l’auteur ne se cantonne pas à la SF ou la fantasy, il écrit dans un peu tous les genres, et se fait aussi poète à l’occasion. Il nous revient au sein de Mu, le label de Mnémos, pour un nouveau roman situé dans le même univers que les Nefs de Pangée (on pourra sans problème le lire indépendamment de ce dernier, même si certains de ses éléments sont repris ici et qu’une lecture préalable des Nefs… est conseillée). Toutefois, peu de points communs entre les deux romans : ici, on est sur une distance nettement plus courte (160 pages) et un récit beaucoup plus intimiste, comme le suggère ce très beau titre, Je suis le rêve des autres.
Un jour, le jeune Malou fait un rêve. Rien de surprenant, en définitive, si ce n’est que la teneur de son rêve, et sa façon de le décrire auprès de ses parents, suggèrent fortement que Malou a été appelé afin de devenir un réliant, un humain que les esprits choisissent pour en faire leur porte-parole. Tout le petit village de Paleval est en émoi, car c’est le premier réliant potentiel à apparaître au sein de sa population, là où tous les villages alentour ont le leur. Toutefois, Malou doit se rendre à Beniata, la source du fleuve des fleuves, pour passer l’examen officiel qui statuera définitivement sur sa qualité de réliant ou non. Ses parents, pauvres, ne pouvant l’accompagner, c’est Foladj qui est choisi, un vieillard au passé sombre, mais qui a l’avantage d’avoir beaucoup voyagé et donc de connaître la route jusqu’à la lointaine Beniata. Les deux hommes, le jeune et le vieux, celui qui porte tout l’espoir d’un peuple et celui qui connut la bassesse, commencent donc un périple où ils vont se découvrir l’un l’autre.
C’est à une quête que nous convie ici Chavassieux. Mais une quête d’un genre inhabituel : pas d’aventures ici, pas de rebondissements ou de rythme, pas même vraiment de suspense. Non, il s’agit davantage de quête de savoir ; Malou ne connaît en effet rien en dehors de son village, découvrir le monde va lui permettre d’enrichir ses connaissances, d’autant plus que Foladj lui demande chaque soir de bien réfléchir à ce qu’il a appris. Mais, ce faisant, Foladj s’aperçoit que, malgré son grand âge, il lui reste sans doute autant à apprendre qu’à Malou. Ses certitudes, son rapport avec son passé sombre, quand il était mercenaire, ou avec son futur, forcément plus très long, tout cela est concassé par ce qu’il vit et ressent avec Malou, alors qu’il n’a jamais eu à s’occuper d’un enfant. La connivence entre les deux protagonistes ne sera pas de trop pour affronter les épreuves liées au voyage, comme le passage à tabac du vieil homme pour le vol de leurs maigres richesses. Mais des épreuves sortiront toujours davantage de révélations sur leur rapport aux autres et au monde, et une certaine forme de sérénité. Christian Chavassieux excelle à nous décrire, dans une langue toujours très poétique, avec une économie de moyens qui ne rime pas pour autant avec sécheresse, la complexité de la relation qui se noue entre Malou et Foladj, alors que l’un vit son premier voyage et l’autre, sans doute, son dernier. Une très belle tranche d’humanité, qui importe plus que la finalité de leur voyage : le roman se termine à peine l’examen final passé par Malou, tant le trajet importe ici davantage que la destination.
Récit à la portée universelle, intimiste, profond et poétique, Je suis le rêve des autres se révèle une splendide ode humaniste, où le cheminement intellectuel et émotionnel des protagonistes ne sera pas sans effet sur celui du lecteur.