Robert Neville est le dernier homme sur Terre. C’est du moins ce que tout semble indiquer. Mais il n’est pas seul pour autant. Chaque nuit, ils se massent aux abords de sa maison. Et son voisin Ben Cortman est là, qui l’appelle : « Neville ! Viens, Neville ! » Mais Ben Cortman et ses semblables n’ont plus rien d’humain. Ce sont des vampires. Victimes d’une étrange épidémie qui a balayé la planète entière, ils n’ont absolument rien de surnaturel en dépit des apparences. Mais ce sont bien, pour Neville, des monstres, des prédateurs assoiffés de son sang. Sa femme elle-même n’est-elle pas sortie de sa tombe pour tenter de le tuer…?
Et Neville de se battre pour survivre. Le jour, quand les vampires sombrent dans leur étrange coma, il arpente la ville déserte, seul, bardé de croix et armé de pieux, quand il n’améliore pas les défenses de sa maison aux fenêtres barrées et surchargées de gousses d’ail. Neville tue pour survivre. Et il s’interroge ; il cherche à comprendre la raison de l’existence de ces vampires : d’où viennent-ils ? Comment l’épidémie s’est-elle propagée ? Pourquoi est-il immunisé ? Pourquoi cherchent-ils à boire le sang des humains ? Pourquoi ont-ils ces réactions face à l’ail et la croix ?
Ainsi débute Je suis une légende, sans doute le plus célèbre roman de Richard Matheson avec L’Homme qui rétrécit. Célèbre pour ses qualités intrinsèques, mais aussi pour son abondante postérité, notamment cinématographique : Je suis une légende a été adapté trois fois pour le grand écran (avec beaucoup de libertés… pour ne pas parler de trahison pure et simple, notamment dans le dernier exemple en date) ; de plus, en « rationalisant » le vampirisme — une voie qu’emprunteront par la suite d’autres auteurs à leur manière, tels Theodore Sturgeon (Un peu de ton sang) et Dan Simmons (Les Fils des ténèbres), pour n’en citer que deux —, et en décrivant ce cadre post-apocalyptique (l’anticipation est à court terme…) d’une planète submergée par une épidémie transformant les humains en monstres, Richard Matheson a contribué à façonner le concept moderne du zombie (George A. Romero et John Russo n’ont jamais caché s’être inspirés essentiellement de ce roman pour créer La Nuit des morts-vivants). C’est dire l’importance de Je suis une légende, roman séminal comme on n’en lit que rarement.
Mais, au-delà de cet héritage, Je suis une légende est avant tout un très grand roman d’horreur comme de science-fiction (davantage que de fantastique, justement du fait de la rationalisation du vampirisme — qu’on la juge convaincante ou pas). Et même, osons le terme, un chef-d’œuvre du genre, dont la lecture marque durablement.
Dès les premières pages, où Matheson fait preuve d’un réel talent pour l’attaque en force, le lecteur est immédiatement accroché et s’identifie bien vite à Neville, le dernier homme sur Terre. Sa détresse est palpable à chaque page, au-delà des seuls impératifs de la lutte pour la survie. Car Neville est bel et bien humain, avec ses faiblesses. C’est un homme triste et reclus dans sa solitude autant qu’un combattant, un homme qui a perdu sa famille dans le drame, et que seul l’instinct de conservation semble encore rattacher à la vie. Ce qui, sans surprise, l’amène régulièrement à sombrer dans la dépression et l’alcoolisme… Mais le pire est probablement que Neville reste de temps à autre sensible à de futiles espoirs ; ainsi dans cette magnifique séquence, tout simplement déchirante, où Neville rencontre un chien errant et tente de s’en faire un compagnon…
Car Neville est bien au centre de Je suis une légende, ainsi que ce titre magnifique, justifié par une conclusion bouleversante, le laisse déjà entendre. Et tandis qu’il s’interroge, avec méthode, sur la raison d’être et l’origine des vampires, le lecteur franchit une étape supplémentaire et questionne pour sa part l’homme, le sens de sa vie, sa place dans le monde. Et le court roman « de genre » de se transformer en subtile allégorie, riche en niveaux de lecture.
Palpitant, Je suis une légende est un bref roman cauchemardesque que l’on dévore littéralement, en l’espace d’une nuit (bien sûr…). Les scènes marquantes pullulent, très visuelles pour certaines d’entre elles. Et l’on tremble et l’on souffre à maintes reprises pour ce héros malgré lui…
Plus de cinquante ans après sa parution, Je suis une légende n’a pas pris une ride et reste un des sommets de la littérature vampirique. Un classique incontournable à la lecture indispensable.