[Critique commune à Les Aventures de Northwest Smith et Jirel de Joiry.]
Dans un système solaire pas si lointain, il y a fort, fort longtemps… Attablé dans un bar louche, sur Mars, Northwest Smith rêve. La nostalgie lui étreint le cœur et lui voile le regard, altérant le reflet métallique de ses yeux clairs. Son visage au teint halé, couturé de cicatrices, se crispe au souvenir des vertes collines de la Terre. Un paysage, une quiétude lui étant désormais interdits par la patrouille interplanétaire. Dans l’attente d’une hypothétique amnistie, il traîne le cuir de sa tenue d’astronaute aux quatre coins du système. Le pistolet thermique lui battant la cuisse, il fréquente les lieux interlopes en quête d’un bon plan, n’accordant qu’un bref répit à sa carcasse athlétique, le temps d’avaler un verre de segir.
En des temps médiévaux incertains, quelque part en France, entre le règne de Charlemagne et la Renaissance, Jirel guerroie sans cesse, traquant les barons félons et autres magiciens retors. La châtelaine de Joiry a fort à faire pour défendre son domaine. De tempérament volcanique, elle tient la dragée haute aux hommes d’arme, portant le fer en terre étrangère lorsque l’occasion se présente, ou recherchant l’aventure et quelque trésor à piller. Les courbes aguicheuses de son corps agréablement mises en valeur par une cotte de mailles très seyante, Jirel n’est pas du genre à laisser un homme prendre son destin en main. Femme de tête, diront certains. Furie à la chevelure rousse, diront d’autres. Juste une question de point de vue…
La parution conjointe des Aventures de Northwest Smith et de Jirel de Joiry provoquera sans doute chez les lecteurs chenus quelques réminiscences nostalgiques. Celles de l’âge d’or des pulps, où les auteurs ne se préoccupaient guère de creuser leur intrigue, se contentant de décliner de manière répétitive les mêmes récits d’aventure. Dans ce domaine, Catherine Lucille Moore (elle signe C. L. Moore pour cacher son sexe) excelle rapidement, attirant l’attention de son futur mari Henri Kuttner, avec lequel elle collaborera entre autres sous le pseudonyme de Lewis Padgett, produisant quelques-unes des nouvelles les plus marquantes de la S-F américaine.
Revenons à Northwest Smith et Jirel de Joiry. Parues entre 1933 et 1938 dans le magazine Weird Tales (à l’exception d’un texte), les nouvelles de C. L. Moore relèvent bien du pulp. Aventure, exotisme, atmosphère flirtant avec le fantastique, personnages réduits à des archétypes, nombreuses références aux mythes et à l’Histoire, Les aventures de Northwest Smith et Jirel de Joiry ne se soucient guère de longues scènes d’exposition ou de digressions psychologiques. On entre direct dans le vif du sujet, se distrayant des rebondissements ou s’effrayant de l’étrangeté des situations vé-cues par Northwest et son alter ego féminin. En somme tout le charme d’une époque, mais une époque exhalant l’odeur du pa-pier jauni, car pour découvrir et apprécier ces deux séries en 2011, il faut faire montre d’une bienveillante indulgence, les replaçant dans une perspective historique.
Difficile en effet de ne pas tiquer devant l’aspect désuet de l’imaginaire. Gorgone esseulée, vampire guettant sa proie, spectre effrayant, femme-garou amoureuse, les intrigues échafaudées par C. L. Moore recyclent les thèmes classiques du fantastique en les saupoudrant d’une pincée de S-F. L’auteur s’inscrit dans cette science-fiction sans science remontant à Edgar Rice Burroughs (dixit Serge Lehman à propos Des Aventures de Northwest Smith dans sa préface). Elle se coule dans une fantasy encore héroïque. Vénus, Mars, le système solaire, le monde médiéval ne sont que des lieux littéraires. Un décorum dans lequel se déploie l’imagination de C. L. Moore. Pas de quoi énerver le plus fervent fan de Star Wars, qui n’est après tout qu’un pulp filmé complètement anachronique, quand bien même celui-ci serait allergique aux dandinements des Ewoks. Toutefois, il faut une bonne dose de patience ou une abnégation confinant au sacrifice pour lire toutes les nouvelles d’une seule traite, ce que déconseille Patrick Marcel à propos de Jirel de Joiry.
Difficile aussi de ne pas s’agacer du caractère répétitif des intrigues et du déroulé prévisible des récits.
Mais alors, pourquoi s’intéresser à ces deux rééditions, nous demandera-t-on ? Peut-être pour signaler le travail éditorial soigné, restituant les nouvelles dans leur ordre de parution originel et nous gratifiant de deux inédits. Sans doute pour les paratextes de Serge Lehman (in Les aventures de Northwest Smith) et de Patrick Marcel (in Jirel de Joiry) apportant leur point de vue sur l’auteur et son œuvre. Par curiosité enfin, histoire de découvrir l’esprit d’une époque, en prenant la précaution de lire les textes à petite dose. Dans tous les cas, il ne faut cependant pas s’attendre à un choc, surtout si l’on est déjà un lecteur accoutumé à la S-F (on n’ose imaginer l’effet produit chez un néophyte). Pour faire un parallèle osé, c’est un peu comme découvrir les temples de Grèce après avoir visité ceux de Sicile.
Même si les nouvelles de C. L. Moore révèlent des qualités narratives indéniables, même si l’auteur démontre sa capacité à tisser une atmosphère, même si son œuvre appartient à l’histoire du genre, on ne peut s’empêcher de juger l’ensemble vieillot et lassant. On préfèrera à bon droit les nouvelles de Lewis Padgett. Une réédition serait d’ailleurs la bienvenue.