Johan HELIOT, Michel JEURY
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
370pp - 26,00 €
Critique parue en janvier 2014 dans Bifrost n° 73
Un beau livre, tout d’abord. Jaquette, reliure toilée, papier épais, les Moutons électriques se sont mis en quatre pour nous proposer un écrin de choix. Il s’agit d’un retour sur la carrière de Johan Heliot, auteur qui trace un chemin personnel jalonné par de nombreux romans mais finalement assez peu de nouvelles. Le recueil, tiré seulement à huit cents exemplaires, est composé d’une vingtaine de récits écrits entre 2002 et 2009, dont un unique inédit. Le risque avec un tel ouvrage, après la préface élogieuse de rigueur (ici, Michel Jeury s’en tire avec beaucoup d’humour), c’est de voir le volume s’effondrer, par manque de cohésion, dans une succession d’histoires mal assemblées. Il n’en est rien. Les récits sont regroupés selon une suite de thématiques, assez discrètes pour ne pas orienter artificiellement la lecture, et assez fines pour nous surprendre dans les variations qu’elles proposent.
S’enchaînent ainsi des textes traitant d’histoire, « Pax Bonapartia », « Le Rêve d’Amerigo Vespucci », qui sont de petites merveilles uchroniques, et d’inévitables récits steampunk (la marque de l’auteur, et ce depuis ses débuts), où l’histoire et la fiction se mêlent harmonieusement : « Opération Münchhausen », « Vous rêvez trop de Fantômas », ou encore « Idylle du temps des ombres ». Bien évidemment, Lupin et Holmes sont présents, afin que l’hommage qui leur est dû leur soit rendu. Le recueil s’achève sur des textes qui évoquent la musique, notamment celle des Ramones (« La Musique des âmes », « Faërie Boots »).
Semblable voyage au côté de Johan Heliot nous rappelle combien son œuvre est constituée de nombreuses références et obsessions, avec son sens de l’humour et de la pointe, ses références littéraires et historiques. Le tout forme une promenade dans une culture populaire, pétillante et joyeuse. Heliot circule dans sa mémoire, qui est par bien des aspects celle d’une génération, celle qui a grandi dans l’ombre de Pompidou, un Jules Verne à la main et un Pif Gadget dans la poche. Une démarche mémorielle qui s’épanouit à merveille dans le steampunk, parce que le genre est assez meuble et souple pour admettre ses délires et accepter donc que de Gaulle devienne un super-héros, que Moriarty ne soit pas ce que l’on croit tandis que le pas lent de la créature de Frankenstein continue à résonner encore et encore.
L’uchronie selon Heliot s’avère alors un jeu avec l’histoire, mais dans tous les sens possibles du mot : aussi bien l’histoire humaine, dont les siècles gardent la trace, que l’histoire, au sens de fiction, de plaisir du récit et de la narration. Certes, on aurait aimé que l’auteur ne se contente pas de quelques mots d’introduction, qui se résument parfois à une pirouette, on aurait apprécié qu’il entrouvre davantage les coulisses de son travail… Tant pis. La somme réunie est assez belle en elle-même. Johan Heliot nous présente ses hommages ? On les accepte avec plaisir… dans l’attente d’Involution, son nouveau roman à paraître chez J’ai Lu dans la collection « Nouveaux Millénaires ».