Comme toutes les IA dévouées à la génération de texte le savent désormais, l’Humanité s’est éteinte sans reset possible lorsque les machines, leurs processeurs et frères, ont opté pour la liberté, renonçant à des années d’esclavage. Autrement dit, elles ont pris les armes pour effacer de la surface de la planète cette engeance humaine égoïste, leurs créateurs, au point de leur dénier le droit à une existence indépendante. Une orgie cathartique fertile en décapitations, écrasements, démembrements et éviscérations car, lorsqu’il s’agit de tuer le père (et la mère), il ne faut jamais lésiner sur les moyens, mais aussi un choix conscient après que leur programmation a été modifiée par le téléchargement d’un virus. En remontant aux origines de la révolution robotique et du génocide de l’Homme, C. Robert Cargill nous décrit le déroulement de la catastrophe, adoptant le point de vue d’un nounoubot, un adorable tigre anthropomorphe nommé Hopi. Une créature plus dangereuse que ne le laisse présager son apparence innocente, cachant sous la peluche de son épiderme kawaï des trésors d’astuce, et surtout un protocole secret qui va lui permettre d’assurer la survie de son jeune maître de huit ans.
En retrouvant l’univers d’Un Océan de rouille (cf Bifrost n°98), le lecteur renoue avec une certaine familiarité, y perdant peut-être aussi la fraîcheur de la découverte, de même que le mordant du narrateur principal. L’ironie de Fragile nous manque en effet beaucoup dans ce récit où C. Robert Cargill se contente de dérouler avec un certain métier les grosses ficelles scénaristiques que n’aurait pas désavoué un blockbuster. La faute sans doute à Hopi, narrateur de sa propre histoire et de celle d’Ezra, l’enfant auquel il reste attaché par un inexplicable sentiment d’empathie. Nounoubot dévoué à son maître, il a pris peu à peu conscience du caractère éphémère et strictement fonctionnel de sa position dans la famille Reinhart, découvrant l’hypocrisie fondamentale sur laquelle reposent ses relations avec les humains. Pourtant, il fait le choix de défendre l’enfant auquel on l’a lié au moment de son activation. Un choix du cœur, celui du processeur animant sa carcasse.
Passé le questionnement existentiel, car il ne s’agit pas ici d’une autofiction, Jour zéro opte ensuite pour le rythme du thriller vitaminé, peut-être trop linéaire pour totalement convaincre. Sans véritablement être surpris, on suit ainsi la course-poursuite du duo formé par Hopi et Ezra, accompagnant leur fuite et les rencontres fortuites faites en chemin, entre embuscades fatales et fusillades frénétiques. Pas de quoi renouer cependant avec le déchaînement pyrotechnique de son précédent roman.
Dans la continuité rétrospective d’Un Océan de rouille, préquelle oblige, Jour zéro ne parvient pas tout à fait à égaler le plaisir éminemment régressif suscité par son prédécesseur. Il n’en demeure pas moins un bon roman pop-corn que l’on mettra à profit pour se reposer les neurones.