Dans un monde en proie à une pandémie « rouge », Adam et Anna vivent au sein d’une petite communauté, à l’abri des multiples périls qui les menacent. Sous l’autorité de Koan, ils prient, rejouent les mêmes rituels depuis leur enfance dans l’espoir que « Tempête » les protégera. Mais, le frère et la sœur savent au fond d’eux même que cette routine sonne faux, en dépit de l’empire que Koan exerce sur leur esprit. La Terre semble vouloir se purger de la présence de l’engeance humaine, la civilisation s’est effondrée sous ses coups de boutoir et le retour de leur géniteur vient remettre en cause tout ce qu’ils croyaient savoir, grevant leur avenir.
Euphémisme, quand tu nous tiens. Après un premier roman étrange et bouleversant (Jusque dans la terre, chronique in Bifrost n°109), on attendait Sue Rainsford de pied ferme, impatient et inquiet de découvrir son nouvel opus. Que l’on nous permette d’avouer une légère déception tant l’histoire proposée par l’autrice résiste à toute tentative de rationalisation. Il faut en effet se laisser porter et accepter de ne pas tout comprendre, tel est le pacte de lecture. Un sacrifice qui ne coûte guère, la plume imagée et poétique de Sue Rainsford faisant une fois de plus merveille.
«Ta fin approche, quand le voile rouge te recouvre. » Jours de sang est une histoire d’emprise, celle exercée par un gourou sur l’esprit d’enfants. Adam et Anna ne connaissent rien du monde d’avant, si ce n’est les bribes que leur livre Koan. Orphelins et jumeaux, ils subissent leur vie plutôt que d’en goûter la vitalité riche de multiples promesses. On ne perçoit que de manière parcellaire leur parcours personnel, l’autrice multipliant les ellipses, les non-dits, tout en n’hésitant pas à rompre la linéarité de la narration en entremêlant celle-ci avec des extraits de journaux intimes. Une diégèse contribuant à entretenir le mystère, à l’épaissir au point de provoquer le malaise. Si l’histoire d’Adam et Anna prend place dans un univers post-apocalyptique, l’urgence de la catastrophe n’y prévaut pas. L’effondrement est repoussé en quelque sorte hors-champ, ravalé à une menace prégnante, bien pratique pour entretenir une atmosphère anxiogène et manipuler les attentes du lecteur. Face à l’étrangeté du récit et à son hermétisme incantatoire, face à la noirceur apparente du monde décrit et à la violence latente qui affleure par touches subtiles, on se doit de renoncer à vouloir tout comprendre, optant pour la prudence. Une expérience qui peut laisser dubitatif.
En dépit de ce léger bémol, Jours de sang n’en demeure pas moins une fable viscérale, mêlant l’intime et l’angoisse et confirmant notre jugement : Sue Rainsford est vraiment une voix singulière des littératures de l’Imaginaire.